Etienne Bufquin est intervenant en ATCC et réalise des formations et de l’accompagnement individuel et d’équipe. Il partage dans cette interview sa vision de l’ATCC. Vous pouvez faire appel à Etiene pour organiser une intervention dans votre structure, en nous contactant ici: contactez-nous.
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3 questions à Stéphane BAGNIS
Stéphane Bagnis est intervenant en ATCC et réalise des formations et de l’accompagnement d’équipe. Il partage dans cette interview sa vision de l’ATCC. Vous pouvez faire appel à Stephane pour organiser une intervention dans votre structure, en nous contactant ici: contactez-nous.
A.T.C.C. mise en avant sur https://psychologies.com
Les conflits interculturels comme voie d’accès à sa propre culture
Quelques exemples de conflits interculturels.
Au cours du bilan de la première journée d’une rencontre franco – germano – tchèque, les participants allemands font des critiques de l’animation et formulent des demandes en terme de méthode et de contenu. Les participants français, après avoir évoqué la contrainte du temps, se demandent s’il ne serait pas possible que les animateurs introduisent telle méthode de travail, s’il serait envisageable de…etc. Les participants tchèques disent qu’ils n’ont rien de spécial à dire. Une Française exprime alors qu’elle ne supporte pas cette façon de ne pas se positionner. Plus tard, une des Tchèques lui répondra qu’elle ne voit pas pourquoi elle devrait se sentir obligée de se positionner…
Dans un stage sur l’interculturel, les participants doivent construire, avec des chaises et sans parler, leur représentation du “pouvoir” . Les stagiaires français dans un enthousiasme unanime construisent une pyramide et placent quatre chaises à une assez bonne distance de la pyramide, en vis à vis. Des Sénégalais forment un cercle : une chaise est plus haute que les autres, quatre chaises sont mises de part et d’autre de la première, trois autres sont renversées. Les stagiaires français parlent de” tyrannie”, “d’oppression”, de “magie” en commentant cette figure. Les stagiaires sénégalais parle de “soumission”, “d’écrasement”, “d’instabilité”, de “distance entre les sujets et les chefs” à propos de la construction des Français !
Quand avec des assiettes on demande à des Français de construire leur représentation du groupe, ils font un cercle et hésitent à en mettre une au milieu. Les Allemands répartissent les assiettes par deux ou trois, en empilent certaines, d’autres non, avec plus ou moins de distance entre les petits groupes ainsi formés…
Quels rapports y a-t-il entre ces exercices et la réalité me direz-vous ? Que peut-on en conclure pour les rapports quotidiens ?
Si on ne prend pas garde aux conflits, ou si on les provoque, dans une rencontre interculturelle, ils vont d’abords se manifester par des “stéréotypes”, puis apparaîtront des “jugements de valeurs”. Mais tout cela cache encore en réalité des différences plus profondes.
Stéréotypes et préjugés
Le stéréotype procède par réduction d’un comportement, d’une habitude (culinaire, vestimentaire, rituelle..) d’une ou plusieurs personnes d’un groupe donné à une nationalité : les Français mangent de la baguette, les US-américains mâchent du chewing-gum à longueur de journée, les Allemands sont rigides…Ces stéréotypes en disent plus sur notre propre rapport à l’autre que sur l’autre lui-même. Car nous jugeons à partir de nos propres critères, nos propres références. En outre ils confondent nationalité et identité : chaque nationalité recouvre plusieurs identités culturelles (en France il y a des Alsaciens, Bretons, Occitans, Basques, sans compter les Polonais, les Italiens, Algériens, Marocains d’origine…). Enfin, il est nécessaire de prendre en compte qu’il y a aussi des cultures différentes selon qu’on est d’origine ouvrière ou bourgeoise, qu’on a une formation universitaire ou manuelle, qu’on est de la ville ou de la campagne.
Les préjugés procèdent de la même attitude : parce que l’étranger est noir de peau, alors il faut que je me méfie ; parce qu’il est habillé différemment de moi, qu’il mange avec ses doigts, qu’il danse et chante tard la nuit, alors je suis en insécurité. Mon dérangement peut-être légitime, il ne m’en autorise pas pour autant à dénigrer l’autre. Et très vite, comme légitimation de ces « dénigrements » apparaissent des conflits de valeurs.
Les conflits de valeurs
“Tyrannie”, “oppression”, “magie”, “soumission”, “distance”, “non-positionnement”… sont des jugements de valeurs : nous voulons exprimer par là que nous n’avons pas les mêmes références, les mêmes valeurs que les autres. Mais on peut constater que les jugements portés par les Français sur la représentation du pouvoir d’un Sénégalais – et inversement – sont finalement relativement symétriques. Mêmes difficultés entre les Allemands qui critiquent facilement les animateurs, les Français qui critiquent, mais indirectement, en louvoyant, sans confronter, et les Tchèques qui ne critiquent pas. Tous ont des valeurs différentes quant à la place de l’animateur, voire du chef. Il est donc difficile pour les Français (qui ont vécu plusieurs révolutions, coupé la tête du roi !) d’accepter que les Tchèques ne se positionnent pas par rapport aux animateurs (mais quand on a subi 50 ans de culture soviétique comment ne pas se protéger ?) Les Allemands, de leur côté, se moquent un peu de la “diplomatie” française et sont plus directs car ils ne craignent pas une montée aux enchères des conflits, eux dont l’histoire est faite de multiples négociations, d’une longue tradition du consensus (l’Allemande « fédérale » était à l’origine un ensemble de petites principautés). C’est aussi pourquoi ils peuvent concevoir un groupe sans centre ni frontières, alors que les Français, avec leur centralisme réputé, n’imaginent pas un groupe sans circonférence et sans centre, ni d’ailleurs un pouvoir qui ne soit pas pyramidal et distant Pour les Sénégalais, ce même pouvoir ne peut être que géré collectivement !
La face cachée de toute culture : les antagonismes fondamentaux
Les valeurs que sont sensées mettre en œuvre chaque culture s’articulent en fait autour d’ “antagonismes fondamentaux” (1). Quand nous Français, mettons en avant la liberté, nous partons d’une conception “individualiste” de la personne, alors que les Sénégalais ou les Kanaks vont avoir comme présupposé une conception “communautaire” de la personne : ils intègrent la contrainte communautaire comme un élément constitutif de leurs valeurs.
La vision française du groupe (un cercle avec un centre) tend à gérer la distance entre les membres et le “chef” du groupe de façon égalitaire, alors que la vision allemande met l’accent que la qualité de la relation. Il y a donc bien une problématique commune de rapport à la distance. Cet antagonisme “proximité-distance” est, comme pour tout antagonisme, composé de deux pôles qui sont comme les deux faces d’une même pièce de monnaie. On peut même dire que la face de l’un correspond à la face “cachée”, “inconsciente”, de l’autre : d’où les réactions de résistance provoquées par la confrontation interculturelle ! Car cette dernière questionne en fait notre identité : quels sont les fondements de notre identité si les autres peuvent, en toute légitimité, faire, penser, différemment de nous ?
Toutes les cultures posent les mêmes questions, mais elle apportent des réponses différentes. Les antagonismes constituent les questions, chaque pôle représentant une des deux composantes de la réponse possible. Et chaque composante va se combiner avec les pôles d’autres antagonismes pour créer un « kaléidoscope culturel ».
Repérer ses propres préférences culturelles pour apprivoiser son identité
Toute pratique “interculturelle” suppose donc un travail de repérage de ses propres préférences culturelles. C’est quand je me mets à justifier mes comportements ou modes de pensée que je dévoile, à mon corps défendant, ma propre culture. En tant qu’Occidental, j’aurai forcément des conflits avec des personnes d’une culture africaine ou asiatique parce que mes présupposés sont toujours “la liberté”, “l’individu”, “la production”, le “temps cadre” (où l’action s’inscrit dans un temps structuré), alors qu’en face on réagira à partir de “la contrainte”, du “collectif”, de la “relation”, du “temps événement” (c’est l’événement, même imprévu, qui structure le temps) etc.
Cette pratique suppose en outre un travail d’acceptation de mon « incomplétude » au niveau conscient. Sinon, le fait de rencontrer une autre conception du monde va me confronter à une crise identitaire. Le racisme va se nourrir de cette peur de la différence, où c’est la peur qui exacerbe la différence et non l’inverse. Reconnaître l’autre comme différent ne suppose pas que je doive renoncer à mon identité, mais que je doive accepter qu’il y a autant de fondements identitaires légitimes que de cultures.
À partir de cette confrontation, je vais pouvoir interroger ma culture, mon identité pour voir ce que les “préférences” des autres peuvent me révéler de moi-même, m’apporter, en quoi les pratiques qu’ils ont déduites de ces préférences, vont pouvoir diversifier, enrichir, les miennes. Et ce n’est qu’à partir de cette prise de conscience, qu’à partir de cette mise en mots des différences que je vais pouvoir négocier avec eux des pratiques communes. Ce qui rend par contre impraticable la négociation, c’est quand ce qui me différencie en apparence, mais me rapproche de l’autre en réalité, reste implicite, non-dit, refoulé !
Cette approche devrait nous permettre de relire “la déclaration universelle des droits de l’Homme”. On éviterait de tomber dans le travers du “relativisme culturel” si l’on prenait le temps de vérifier ce que chaque culture entend par “homme”, “femme”, “droit” etc…Et l’on pourrait alors comprendre ce qui, derrière une telle unité de façade, peut expliquer que des pratiques soient aussi différentes, voire contradictoires, avec l’esprit de la charte !
Hervé Ott
Formateur – consultant en « Approche et transformation constructives des conflits »
(1) cf. J. Demorgon Complexité des cultures et de l’interculturel Anthropos 1996 320 p.
On lira aussi avec beaucoup de facilité les livres de T.E Hall en commençant par “La dimension cachée” collection Point, Seuil 1971, 240 p.
Une voie d’accès à sa propre culture
Article paru dans Non-Violence Actualité – 2003 –
Poser des limites dans la relation éducative / pédagogique pour rendre l’enfant autonome
Résumé
C’est par facilité que nous employons le mot « limites »
dans ce titre. En fait il faudrait parler de « frontières ».
Les limites se repoussent, les frontières se traversent : on
peut repousser ses limites physiques en s’entraînant, on parle de
limites de propriété – sous entendu infranchissables par le voisin
– or les conflits de voisinage peuvent venir du fait que l’un
essaye de repousser les limites de sa propriété au détriment de
l’autre ! Parler de « limites » imposées à un enfant
à travers l’éducation revient à « limiter » l’enfant
dans son développement ! Par contre indiquer à l’enfant les
frontières qu’il doit respecter ou peut franchir avec une
autorisation, c’est l’éduquer à faire respecter ses
propres frontières : son espace privé, son corps, son jardin
secret etc. et à formuler des refus ou des autorisations !
L’enfant se construit donc dans la confrontation aux « frontières » (émotions, besoins) de ses parents d’abord, puis à celle de l’école (règles) et enfin à celles de la société (lois). Mêmes les lois sont des « frontières » puisqu’elles peuvent être transgressées et alors s’en suivent des sanctions. Encore faut-il qu’elles soient clairement assumées et formulées !
Car l’autonomie de tout être humain se construit dans un cadre de confrontation à des contraintes et de libertés. Contraintes à travers l’apprentissage du respect des besoins des adultes, des règles, des lois, et libertés à travers la possibilité d’inventer, de créer et même … de désobéir ouvertement !
Les adultes, parents, enseignants, éducateurs, ont la responsabilité de créer et de garantir un cadre sécurisant pour l’enfant. Quand celui-ci transgresse ces frontières, il doit être confronté en proportion de ce qu’il est en mesure de comprendre, puis quand il s’agit de règles définies à l’avance, l’adulte doit appliquer des sanctions éducatives/réparatrices adaptées.
Confronter en respectant, sanctionner sans punir, sécuriser sans étouffer, accueillir ses émotions et celles de l’enfant sans les juger, opposer ses frontières sans culpabiliser, rester compatissant sans tout excuser, négocier la satisfaction de ses propres besoins fondamentaux et ceux de l’enfant sans faire de chantage… autant de pièges à éviter, d’authenticité à développer.
Comment se construit l’enfant ?
Mu par un désir de vie, que j’appelle aussi « agressivité naturelle », l’enfant doit faire l’expérience douloureuse des frontières des autres, apprendre progressivement que la vie humaine et en collectivité, ne serait-ce qu’avec ses parents, suppose le respect d’un certain nombre de contraintes. Il va ainsi faire l’apprentissage de la frustration, quand il a faim notamment. Et il y des femmes qui donnent le sein à la demande et d’autres quand « l’heure c’est l’heure ». Margaret Mead a observé des tribus du Pacifique où dans les unes les nourrissons avaient un libre accès au sein, d’autres au contraire où l’enfant devait se battre pour y arriver. Il en résultait des comportements très différents des enfants devenus adultes, les uns plus pacifiques, les autres plus guerriers. A cette évocation répond souvent la réaction des parents : « on ne peut quand même devenir leur esclave ». Et voilà comment plein de peurs parentales cachées justifient qu’on va presque se méfier des besoins fondamentaux des nourrissons.
Si un enfant pleure, crie, c’est d’abord parce qu’il a mal. Pourquoi dire « qu’il fait une comédie » sinon parce qu’il aurait appris qu’en faisant la « comédie », il obtient tout ce qu’il désire ? La frustration est dure à vivre, c’est un apprentissage, pour autant la souffrance qui en résulte est réelle.
Alors se pose la question : comment
accueillir cette souffrance du petit enfant ?
J’entends
par « accueillir la souffrance » d’un enfant ou d’un
adulte quelque chose de très différent que de se soumettre à
l’expression de cette souffrance. Trop souvent, confrontés à la
souffrance des enfants, les parents les raisonnent au lieu de leur
manifester de la compassion. Nous sommes au cœur du débat de ce
soir : manifester de la compassion est-il incompatible avec
manifester ses frontières, maintenir un cadre ? Trop souvent
notre peur de parents à lâcher le cadre nous conduit à refuser la
compassion.
Ex : un ado dont un copain s’est tué le jour même de son anniversaire avec la mobylette qu’il venait de recevoir en cadeau. La réaction parentale est d’accuser les parents irresponsables, de justifier leur refus de donner une mobylette à leur enfant etc.. Or cet ado est affecté d’abord par la mort de son copain, il a besoin d’être consolé, accueilli dans son deuil. Ce qu’il reçoit c’est de la morale !
Ex : la petite fille qui vient vers nous en pleurant parce que sa grande sœur lui a fait très mal ! Plusieurs fois j’ai réagit avec colère et suis allé gronder sa sœur pour finalement me rendre compte que la version de la petite n’était pas aussi limpide que cela. Alors, j’ai finit par comprendre que dans ces cas-là, la petite avait besoin d’exprimer sa frustration et qu’avec quelques câlins et et la reconnaissance très appuyée de sa souffrance, j’arrivais à la calmer et qu’elle repartait aussitôt jouer avec sa grande sœur.
Ex : une femme souffre toujours du deuil de son mari mort il y a 7 ans, elle lui en veut encore, se dévalorise et n’arrive pas à nouer de relation satisfaisante avec un autre compagnon. En faisant un petit travail de mémoire, elle évoque un événement vécu à 8 ans quand un homme lui a soulevé sa jupe et baissé sa culotte. Son père en colère a cherché l’agresseur mais n’a sans doute pas pris le temps d’écouter la honte de cette petite fille qui s’est trouvée bête d’avoir été naïve devant ses copains… 45 ans plus tard elle en souffre encore, elle se trouve nulle !
Il y a derrière les attitudes parentales deux
schémas corporels très bien identifiés :
L’un qu’on
appelle « triangle dramatique » où le témoin d’une
dispute ou violence entre 2 protagonistes, va, par pitié, prendre la
défense de celui qu’il perçoit comme victime et par colère
insulter ou attaquer l’autre, l’agresseur supposé ! De
témoin cette personne va devenir « sauveur » et
« prendre parti » pour la « victime », donc
renforcer le dualisme de l’opposition précédente. Un dualisme
violent parce que sans tiers.
L’autre qu’on pourrait appeler « triangle
vertueux » consiste pour le témoin à rester à équidistance
des deux protagonistes, sans prendre parti, à redire les règles ou
le droit et à protéger si nécessaire la victime, lui faire droit,
sans pour autant dénigrer l’agresseur.
En droit, même la
personne qui a agressé a le droit à être défendue… dans la
limite définie par la loi. La pire des réactions serait de ne pas
intervenir en tant que témoin et laisser la violence perdurer :
en droit cela s’appelle « non-assistance à personne en
danger ».
Ce qui se joue avec ces 2 triangles, c’est notre capacité, en tant qu’adultes, à savoir distinguer et vivre en 2 temps distincts, le temps des émotions et le temps de la raison : savoir accueillir la souffrance de l’enfant et après rappeler la règle. Or, trop souvent, peut-être par peur de « mollir » ou d’être confronté à sa propre souffrance, l’adulte se réfugie derrière le droit, la morale…
Cela renvoie à une distinction très importante concernant nos comportements :
- nous sommes des reptiliens avec 3 modes de réaction (lutte/combat, fuite, inhibition) quand nos besoins de survie sont en danger : besoin d’alimentation, de repos et de reproduction, donc de territoire, besoin de mouvement.
- nous sommes des mammifères lorsque nous réagissons avec nos émotions, pour moi au nombre de 8 (surprise, colère, peur, tristesse, joie, dégoût, honte et compassion) qui sont le signal soit d’un besoin de survie, soit d’un besoin psychologique fondamental comme l’amour, la reconnaissance, la sécurité / orientation, l’autonomie et la créativité, soit des 2, en danger. Quand l’enfant est en colère, quand il a peur, quand il est triste etc, c’est qu’un de ces besoins absolument nécessaire à son épanouissement est frustré.
Ce n’est que progressivement que nous allons devenir des « homo sapiens », doués de raison, qui permettra – par delà les modes de réaction reptiliens, les émotions mammifères – de satisfaire la réalisation de « valeurs », à travers le respect des autres, de la solidarité et même le renoncement à la vengeance.
Même si l’enfant comprend assez vite des mots, c’est surtout le langage émotionnel, à travers les mimiques du visage, le ton, les modulations et le rythme, de la voix, le visage, les gestes qu’il va décrypter ce que veut lui communiquer le parent. Et si les mots utilisés sont en contradiction avec ce qu’il perçoit très finement des émotions, il en résultera à terme une forme de confusion mentale. Or cette confusion est trop souvent déjà présente dans notre discours de parent : combien de fois disons-nous « tu n’es pas content » alors que nous percevons de la colère ou de la tristesse !
Ce « tu n’est pas content » traduit plus exactement le dérangement du parent face à la colère/tristesse perçue chez l’enfant. Il est très important que les parents, en parlant à leurs enfants, que les enseignants et éducateurs s’adressant aux élèves utilisent les mots justes pour que l’enfant puisse apprendre à les utiliser à son tour. Et le vocabulaire des émotions devrait être le premier a être transmis aux enfants, car c’est de leur capacité à mettre des mots sur leur vécu qu’ils arriveront progressivement à canaliser l’énergie de ces émotions et éviteront des comportements violents nés de leur frustration refoulée.
Ex : un jour mon fils, à 5 ans, arrive de l’école en disant « papa, t’es con ». J’aurais pu lui donner une gifle en disant « on ne parle pas comme ça à son père » avec le risque à terme, qu’il claque un jour la porte en disant « tu es vraiment un con », sous entendant par là « tu es incapable de me comprendre ». Ce jour-là, j’étais suffisamment en forme pour lui dire « je refuse que tu me parles comme ça, je ne te parle pas comme ça. Mais je sens que tu es en colère, parle moi de ce qui te met en colère ». « Tu m’avais promis que tu jouerai avec moi, que tu m’achèterai un jouet … ». Sa colère était légitime, il avait besoin que je m’occupe de lui. Son vocabulaire avait été acquis en imitation de ce qu’il entendait dans la bouche de personne qu’il percevait en colère…
Un enfant a le droit d’être triste, pour faire le deuil d’un désir, d’une envie. C’est en exprimant cette tristesse qu’il pourra en faire le deuil et passer à autre chose.
La loi, le cadre, l’adulte garant
En France en particulier et en Occident en général – question de culture – on parle du besoin de liberté des êtres humains. En fait il serait plus exact de parler de « besoin d’autonomie ». Car l’autonomie est faite de contrainte et de liberté, de liberté dans un cadre contraint.
Les sociétés humaines ont toutes inventé des lois, des règles. Toutes ces lois et règles se résument à la loi fondamentale « sécurité dans mon corps, dans mon âme, dans mes biens ». C’est pourquoi il y a des inter-dits, des « paroles entre » qui permettent la relation. Sans loi, pas de sécurité, pas de confiance, pas de relation. En tant qu’éducateurs nous avons un devoir de transmettre des inter-dits pour aider l’enfant à devenir autonome, c’est-à-dire à savoir exploiter toutes sa liberté à l’intérieur d’un cadre contraint, celui des interdits fondamentaux, du meurtre, de l’inceste et déjà de l’injure ! Les adultes ont la responsabilité non seulement de transmettre ces interdits, aussi de les respecter eux-mêmes et de se porter garants auprès des enfants qui seraient victimes d’autres adultes ou enfants ! Malheureusement, il y a une très grande confusion entre inter-dits, lois, règles et « normes » : les normes sont des frontières informelles, non écrites des comportements mal tolérés dans un groupe donné. Elles ne sont écrites nulle part. Alors que les lois et les règles doivent être écrites et accompagnées de « sanctions » pour leur donner une forme concrète d’interdit : si la loi ou la règle est transgressée, il doit y avoir une pénalité et un processus de réparation pour le groupe et / ou la victime qui a subi un préjudice. Trop souvent l’adulte, en impuissance, « punit » l’enfant, c’est à dire lui inflige une peine en fonction de son propre état émotionnel, trop souvent la colère ou la honte…
Or quand l’enfant est en insécurité dans l’un de ces domaines et qu’il n’a pas appris à l’exprimer comment fait-il : soit il devient inhibé (timidité, manque de confiance en soi), soit il fuit, soit… il attaque. C’est le reptilien qui réagit ! Or j’ai maintenant l’intime conviction que l’enfant qui provoque, qui transgresse, est un enfant en très grande insécurité…
Ex. Une institutrice raconte que le jour de la rentrée il y a dans sa classe un enfant qui s’appelle Thomas, qui est grossier, qui pète, rote, fait du bruit, dérange les autres enfants. Deux jours plus tard, elle se souvient d’un autre Thomas qui avait les mêmes comportements. Beaucoup plus tard, après avoir eu toutes les peines du monde pour le contenir, à bout, elle explose de colère et l’enfant se calme immédiatement. Elle n’a plus eu de problème avec lui. Par contre l’année suivante, c’est une de ses collègues qui l’a récupéré et qui subit ses comportements revenus !
Quand les règles sont transgressées et que
l’adulte risque de se retrouver en impuissance, il peut encore
avoir recours à toute l’énergie de sa colère, de sa peur, de son
dégoût etc, pour poser une ultime frontière. Qu’est-ce qui
pouvait empêcher cette institutrice d’exprimer sa colère ?
Il suffit pour cela d’écouter le jugement qu’elle portait sur
cet enfant : « grossier ». Et si, inconsciemment
elle avait elle-même peur de sa grossièreté lorsqu’elle se
mettait en colère.
NB. Thomas se dit « jumeau » en
grec. Or, il y avait aussi beaucoup d’histoire de jumeaux dans sa
famille !!!
Notre rapport à la colère est très difficile car nous confondons « colère contre » et « colère pour ». La colère contre est celle qui nous fait insulter, taper l’autre qui a déclenché notre réaction. Or la loi nous interdit d’injurier et de taper ! La, loi interdirait-elle la colère ? Impossible ! En fait la vraie colère est une colère « pour… » défendre notre territoire, nos biens, notre dignité, la justice etc. Toute émotion est une « énergie pour… ». Quand elle se transforme en énergie contre, c’est parce qu’elle est refoulée, jugée et que nous nous jugeons d’être aussi « faible ».
Ex . Je suis intervenu dans une Maison d’enfants à caractère social (MECS) suite à une gifle donnée par une éducatrice à un adolescent. En retravaillant sur la situation avec l’éducatrice, en rejouant une situation similaire, je lui faisais remarquer qu’elle n’avait pas réagit lorsque son collègue qui jouait l’adolescent la traitait de « connasse », mais qu’elle a explosé quand il la traitait de « putasse ». Elle banalisait « connasse » sous prétexte que c’était courant mais elle ne pouvait accepter « putasse » qui la blessait fortement. Je lui faisait remarquer que la loi qu’elle est sensée faire respecter par ces jeunes ne fait pas de différence et qu’elle n’a pas le droit d’en faire elle-même. Qu’elle doit confronter les jeunes à toutes les lois définies par le législateur. Pourtant elle était convaincue que le jeune l’avait provoqué et que du coup la gifle l’avait calmé. J’ai dû alors lui prouver qu’elle pouvait le calmer autrement, en le confrontant à sa propre « colère pour », qu’elle avait beaucoup de peine à accueillir sans se dévaloriser et que du coup c’était la « colère contre » qui prenait le dessus.
Ex : J’étais en vacances chez des amis, et la mère se plaignait du comportement d’un de leur fils qui faisait bêtises sur bêtises : elle se sentait totalement impuissante. Lui ayant demandé ce qu’elle aimerait pouvoir faire dans ces circonstances, elle me répondit « l’étrangler ! ». Comme j’avais confiance dans son amour et ses capacités de compassion pour son fils, je lui répondit « vas-y, c’est ce qu’il attend, il en a besoin ». Elle me regarda ahurie ! Deux jours plus tard ma fille aînée, qui n’était pas au courant de cette discussion, nous confia que le fils en question lui avait dit « j’espère que mes parents me foutront une branlée quand je fais des conneries, parce que j’ai peur d’en faire une trop grave… ». Transmis aux parents… Ce garçon s’est complètement stabilisé. En fait, il vivait dans une très grande insécurité parce que ses parents n’osaient pas le confronter à leur colère ou leur peur, leur tristesse etc.
Les adultes, parents, enseignants, éducateurs, ont la responsabilité de créer et de garantir un cadre sécurisant pour l’enfant. Quand celui-ci transgresse des règles définies à l’avance, l’adulte doit appliquer des sanctions éducatives adaptées.
Même pour les parents, il y a des choses interdites par la loi : punir pour des actes qui ne sont pas des transgressions. Si un enfant arrive fréquemment en retard à table, on n’a pas le droit de le punir, il faut soit le confronter pour entendre le sens de ses retards, soit trouver une heure du repas qui convienne mieux à tout le monde. De la même façon qu’ils n’ont pas le droit de « priver de dessert » ou d’argent de poche un enfant qui aurait désobéi, serait rentré trop tard un soir, si ce n’est pas d’avance convenu comme privation – sanction d’une transgression comportementale.
Avoir de mauvaises notes à l’école ne relève pas de la transgression, donc n’a pas a être doublement sanctionné. J’imagine que ce que je dis peut faire réagir des parents ayant peur de perdre le « contrôle » à la maison. Mais la fonction de parent consiste à trouver un cadre au service de la sécurité et non à imposer sa façon de voir, de défendre les traditions, des projets sur leurs enfants, etc.
Pour conclure je tiens à rappeler ces paroles fortes de J. Korczak
VOUS DITES
C’est fatigant de fréquenter les enfants,
Vous
avez raison,
Vous ajoutez :
Parce qu’il
faut se baisser, s’incliner,
Se courber,
Se
faire tout petit.
Là, vous avez tort,
Ce
n’est pas cela qui fatigue le plus,
C’est le fait
d’être obligé de s’élever,
De se mettre sur la
pointe des pieds
Jusqu’à la hauteur de leurs
sentiments,
Pour ne pas les blesser.
J. KORCZAK
Hervé Ott, Conférence donnée à Caen, le 20 octobre 2011
Formation Faire face à l’agression, la violence et l’impuissance dans les conflits
Septembre à décembre 2025
Un nouveau cursus débutera à Rodez en février 2025.
L’ATCC pour oser traverser nos conflits
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Publié dans Psychologie Magazine en décembre 2020
Grand ou petit, le désaccord fait partie de la vie. Est-il forcément violent ? Une présentation de l’ATCC proposée par Aurore Aimelet à partir des témoignages d’ELizabeth Clerc et Etienne Bufquin, tous deux formateur.rice.s -consultant.e.s en ATCC.
Le courage civil
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Un article d’Hervé Ott publié dans Yggdrasil
« La violence qui surgit dans la rue, tant du côté de certains manifestants que de celui des forces de l’ordre, peut faire oublier que, pour un très grand nombre de personnes, manifester suppose une certaine dose de courage… »