Article paru dans Non-Violence Actualités.
Je dois reconnaître que mon expérience de formateur en relations humaines ne m’évite pas de me trouver quelquefois en difficulté dans ce domaine. Peut-être avez-vous fait la même observation : le fait de connaître ou même de transmettre des techniques de communication n’est pas toujours suffisant pour éliminer la violence de nos relations et résoudre positivement tous les conflits ? Alors, faut-il changer de métier (pour les formateurs) ? Se juger sévèrement ? Dénigrer les techniques ?
L’expérience de mes propres limites et les témoignages des personnes qui ont suivi mes stages m’ont amené à questionner sans préjugé le sens et l’utilité des techniques de communication. J’aimerais partager avec vous des éléments de cette recherche sans prétendre apporter des réponses absolues ou définitives, mais simplement contribuer au débat.
QUAND « ça ne marche pas » !
Vous avez sans doute entendu parler de différentes méthodes comme, par exemple, la CNV de M. Rosenberg ou la méthode ESPERE de J. Salomé. Toutes ces techniques et bien d’autres encore, visent à nous aider à améliorer les deux visages de la relation : savoir comment mieux exprimer nos sentiments sans juger et comment aider l’autre à « mettre des mots sur ses maux ». La pratique nous amène très vite à comprendre qu’elles ne sont pas des recettes magiques.
Grâce aux témoignages de mes stagiaires j’ai découvert des types de situations récurrents qui posent problème malgré l’application consciencieuse de « méthodes ». En voici quelques exemples :
PAS LE MEME CADRE DE REFERENCE
Claire est professeur : quand elle parle de respect elle a l’impression qu’elle ne parle pas la même langue qu’une partie de ses élèves : elle attend d’eux qu’ils ne mettent pas en cause sa pédagogie, qu’ils ne prennent pas la parole sans autorisation, ne se « traitent » pas ; leur conception du respect est très différente : ils disent qu’ils l’aiment bien comme prof, qu’il n’y a pas de problème mais qu’elle leur prend la tête avec son respect. Claire ressent pour sa part un fort sentiment de frustration et d’impuissance.
André est formateur, il a été appelé dans un lycée pour travailler la gestion des conflits avec un groupe de jeunes en difficulté. Il essaie d’exposer positivement les buts de la formation : vivre ensemble sans violence. Certains ont fini par dire : nous on s’en fout, il y a nos amis avec qui on s’entend bien et les autres on en a rien à faire de ce qu’ils pensent ou vivent. Ceux de l’autre « clan » ont renchéri. Les « sans clan » semblaient mal à l’aise et regardaient ailleurs. André s’est senti très mal.
Dans ces deux cas chaque protagoniste fait référence à un cadre différent (conception de la loi, des valeurs). André, comme Claire ne pouvaient plus s’appuyer sur une méthode. Ecouter, oui, mais qui ? Peut-on forcer quelqu’un à communiquer ?
DES BLESSURES ANCIENNES
Il m’est arrivé de dire sincèrement ce que je ressentais, convaincu de ne pas avoir porté de jugement sur l’autre – ni verbalement, ni par mon attitude – et de voir mon partenaire réagir, se sentir visé, blessé. Il percevait de la violence là où j’avais mis tout mon cœur et mon savoir pour l’éviter.
Alain a fait l’expérience de ne pas être cru alors qu’il exprimait ses sentiments au plus près de sa vérité ? Il a ressenti un profond malaise comme si le fait d’exprimer ses sentiments avait donné à l’autre un bâton pour le battre, il se sentait nié dans son être.
L’expression sans jugement du ressenti a été source de violence dans la relation. Pourquoi ?
Il est probable que se sont réveillées des blessures anciennes. Dans le premier cas il s’est avéré que mon partenaire était blessé profondément dans l’image qu’il avait de lui-même. Dans des circonstances précises, cela l’amenait à projeter une attitude de dévalorisation de soi, intériorisée et attribuée à l’autre quoi qu’il puisse dire. Dans le second cas Alain a pris contact avec son passé d’enfant que ses parents n’ont pas cru quand il disait la vérité. Depuis, il se sent comme pris en otage par la parole de défiance de l’autre, par projection d’un sentiment enfoui ou d’une croyance : je suis un menteur, même quand je dis la vérité, je me trompe, je ne peux pas me faire vraiment confiance.
UNE DEMARCHE NOUVELLE : TRANSFORMER LA VIOLENCE
Dans ces exemples les personnes impliquées se sont senties impuissantes, comme enfermées dans une impasse. Elles ne pouvaient poursuivre la même stratégie même si dans d’autres circonstances, celle-ci s’était montrée pertinente. Quand nous sommes confrontés à ce type de situation, nous sommes renvoyés à nous-mêmes sans l’appui du repère extérieur que pouvait être la « méthode ». Ces moments sont précieux et… si inconfortables. Habituellement nous nous empressons de les fuir.
La méthode et notre sincérité pour la mettre en pratique nous ont amené à l’endroit précis où nous pouvons y voir plus clair. C’est ce lieu que nous consentons à observer avec attention dans les stages « transformer la violence » en nous appuyant sur une représentation originale des systèmes violents et de leurs mécanismes.
Ce lieu est le cœur de notre propre violence : généralement liée à un manque profond de bienveillance envers nous-mêmes. Les stages montrent qu’il est possible de la transformer. Le cadre de cet article ne permet pas d’entrer dans les détails de cette démarche, mais nous pouvons revenir aux exemples pour donner une idée du changement du regard porté sur la situation ce qui transforme du même coup son potentiel violent.
Devant André, les jeunes veulent savoir « ce qu’il a dans le ventre » ; c’est l’heure de vérité pour lui. En quoi croit-il ? Pourquoi est-il ici ? André est resté dans la situation, témoin de ses valeurs : ne pas juger et laisser l’autre libre de ses choix pouvu qu’il assume les conséquences. Les jeunes l’ont provoqué pour vérifier. Il a tenu bon. Ils ont rencontré un adulte crédible, ils ont accepté de coopérer.
Claire n’a pas fui dans la plainte ou l’accusation. Elle a confronté ses valeurs (respect) à la réalité que vivaient ces ados. Elle a pris du temps pour rencontrer discrètement leur « monde ». Elle a vu que certains vivaient des situations extrêmement difficiles : violences domestiques, devoir se débrouiller par soi-même, s’occuper des petits frères…. Elle, qui vit socialement dans une certaine sécurité, a été déstabilisée un moment puis a ressenti de la bienveillance et de la solidarité envers eux, elle a vu son métier autrement. Elle a du plonger en elle-même, retrouver sa motivation profonde pour ce métier, en refaire le choix.
Alain, comme mon partenaire et moi-même, dans les derniers exemples, avons osé faire face à notre émotion sans accuser l’autre ou passer à autre chose. C’est ainsi que nous avons découvert le lien avec notre propre passé.
DU COURAGE, DU TEMPS, DE l’ENTRAINEMENT
La curiosité envers ce lieu inconfortable, où la communication se bloque, révèle la nature de notre monde émotionnel et peut permettre de recontacter une capacité de bienveillance, toujours présente au fond de nous mais souvent en sommeil. Cette capacité de bienveillance prend parfois la forme de « valeurs » : Le sens que nous donnons à notre vie, nos valeurs, résident là. Il s’agit de consentir à s’intéresser à ces instants privilégiés et douloureux, quand, à l’intérieur de nous-mêmes, se trouvent face à face le bourreau, la victime et le juge coexistant avec une grande trouille. Si nous acceptons la confrontation, une confiance en nous, dans les autres et dans la vie elle-même pourra naître.
Cette démarche n’est rien moins que facile. elle demande beaucoup de temps, de courage, de remise en question et d’authenticité. Un accompagnement par un tiers se révèle souvent nécessaire. Il est possible de s’entraîner, de s’exercer dans un stage non pas centré sur une technique particulière mais sur le moment même où la technique ne peut plus s’appliquer.
LES TECHNIQUES NOUS GUIDENT VERS NOTRE PROFONDEUR
Les techniques nous guident vers nous-mêmes. Elles sont un support efficace pour nous aider à nous connaître mieux. Chaque fois que nous ne pouvons pas les appliquer, parce que c’est trop dur, parce que nous oublions tout au moment où le conflit se noue, parce que quelque chose bloque, nous sommes tentés de nous en sortir en accusant quelqu’un ou quelque chose. Nous pouvons aussi nous exercer à naître à nous-mêmes, développer une bienveillance et un non-jugement sur nous-mêmes.C’est la condition de la transformation de la violence. Naître à l’autre dans sa spécificité avec son histoire et sa souffrance. Naître à la situation et la voir dans son ensemble comme un système avec ses zones claires et ces zones d’ombres dans lequel nous gardons la liberté de choix. Co-naître pour vivre un espace de liberté dans lequel les techniques n’ont plus d’importance. Un espace ou les mots clés sont bienveillance et confiance envers soi, envers l’autre, envers la vie.
JEAN-JACQUES SAMUEL
LA MICALIE 81120 LE TRAVET
tél/fax 05.63.57.64.43
couriel : retrouve@wanadoo.fr
Jean-Jacques SAMUEL anime des stages « transformer la violence » qui proposent une démarche de connaissance de soi à travers notre monde émotionnel. Il organise aussi des formations à la prévention des violences à la demande d’institutions diverses : gendarmerie, secteur hospitalier, socio-éducatif, scolaire et social.
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