Après un stage germano-tchèque à Dresde, où nous avons travaillé sur les valeurs culturelles, et notamment sur « qu’est-ce que la dignité d’un stagiaire, d’un formateur ? » je reprends le train très heureux de ce travail. Un groupe de jeunes gens monte dans le même train que moi ; d’après leurs vêtements et comportements, je les associe à l’extrême droite. Je lis le questionnaire de la rédaction de NVA en français, pour rédiger mon article. Soudain, je suis entouré par ces jeunes gens. Percevant qu’ils ne peuvent pas comprendre ce texte, l’un d’eux commence à faire des remarques ironiques, puis ils continuent leur chemin. Un peu plus tard, ils reviennent bruyamment, me choisissent comme bouc émissaire et essayent de tripoter mon ordinateur portable. J’exprime une forte limite, sans violence, laquelle, fait effet, à mon grand étonnement : je mets en jeu mes valeurs, parle de respect, de ma dignité et de l’inviolabilité de mon espace et de ma personne. Ils sont surpris et se retirent.
Je vis avec ma famille dans une maison restaurée avec des matériaux écologiques. Comme tant d’autres, tous les jours nous cherchons avec ma femme à rester fidèles à nos valeurs, que ce soit par la nourriture, les moyens de transport ; mes enfants vont dans une école privée, nous n’avons pas de téléviseur, ne buvons pas d’alcool et recherchons des méthodes de médecine alternative etc. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est une forme de vie choisie, vivante, respectueuse et belle.
A travers ces deux exemples, je révèle différents niveaux concernés par les valeurs. Il s’agit des niveaux personnel, structurel et culturel : personnel avec les besoins et mécanismes de défense, structurel avec le droit, la constitution, l’espace, le temps ou les moyens de transport, culturel enfin par la justification de mes pensées, ressentis ou de mes actes. Des liens systémiques entre ces trois dimensions déterminent le cadre des valeurs.
De la culture nationale à la « transculturalité »
La culture à mon niveau personnel est influencée par les conditions structurelles qui m’entourent. A mon tour, j’influence ces structures. L’appartenance nationale est un de ces facteurs structurels qui est loin d’impliquer une standardisation totale de ma culture. Cette erreur du XIX° siècle, selon laquelle des cultures nationales doivent se constituer par le biais de la formation des Etats nations, a été la source de bien des malheurs dans ce monde. Car la légitimation de l’Etat national avait pour objectif de supplanter les autres cultures et nations. Les représentations culturelles nationales favorisent sans doute une appartenance, mais au prix de la dévalorisation d’autres appartenances. S’y référer et se parer des vieux stéréotypes culturels standards ne stimulent ni la compréhension ni la transformation des conflits. Car à côté de l’appartenance nationale, il y aussi les influences culturelles de la religion, de la profession, des paysages, des régions, des systèmes familiaux etc. Nous sommes tous fait de mélanges culturels, nous sommes en fait des êtres « transculturels ».
Comment naissent les valeurs ?
Si nous questionnons les racines de nos comportements, de nos symboles et rites, (vêtements, plats, coiffures, fêtes, célébrations…), alors nous accédons à nos valeurs. Autrefois, je croyais, que les valeurs sont des repères abstraits à l’intérieur d’un groupe. À travers notre travail de formation, il nous est apparu que chaque valeur est rattachée à un des besoins fondamentaux de l’être humain. Erich Fromm et Charles Rojzman, entre autres, décrivent ces besoins comme une force essentielle de l’existence humaine : ils nous informent sur ce qui nous est indispensable pour vivre et font en sorte qu’ils soient satisfaits, pour notre bien être.
Les peurs, (comme émotions) sont des gardiennes, qui nous informent lorsque nos besoins sont menacés. Elles déclenchent en nous un des trois modes de réaction biologique : la lutte, la fuite ou la paralysie/pétrification. Lorsque nous sommes prisonniers de ces modes de réactions, comme domination-soumission, protection-maîtrise, nous n’avons plus accès à nos besoins.
Dans notre Approche constructive des conflits, nous sommes arrivés à cerner 6 besoins fondamentaux et leurs peurs gardiennes respectives, avec leurs valeurs correspondantes.
Besoins Liens Peurs de Valeurs
Amour Personne, corps, sexualité Abandon, séparation, Dignité
Reconnaissance Réalisations, travail, activités Echec, dévalorisation, jugements Honneur
Sécurité Territoire, espace, corps Agression, envahissement, Fidélité, santé
Repères Direction, règles, sens, Perte des repères, des limites Vérité, justice
Autonomie Responsabilité, liberté de mouvement Contrôle, contraintes, dépendance Liberté,
Créativité , transcendance Réalisation de soi, santé, développement, spiritualité Aliénation, mort Beauté
La dignité d’une personne dépend d’une acceptation inconditionnelle de ce qu’elle est : « comme tu es, tu es aimé-e et respecté-e“. L’honneur est associé à la reconnaissance de nos actes. La fidélité nous donne de la sécurité dans la relation. La liberté nous permet de décider sans contrainte etc.
Les différentes couches culturelles qui nous influencent, nous transmettent que telle valeur est importante pour notre quotidien. Les institutions donnent à telle ou telle un cadre structurel, juridique. Telle autre, peut tout aussi bien être déclassée et repoussée aux limites de la conscience. Exemple : de quelle « dignité » peuvent se prévaloir les enseignants et les élèves dans le système scolaire ? Comment peuvent-ils la reconnaître et la défendre ? Comment font les membres de différents groupes culturels pour la vivre dans l’institution scolaire ? L’article 1° de la constitution de l’Allemagne stipule que « la dignité de l’être humain est inaltérable ». Quelles sont les valeurs mises en exergue par les constitutions des autres pays ?
Des présupposés culturels et leur rapport au système de valeurs.
En arrière-plan d’une culture se trouvent ses „présupposés“, à savoir, des préférences culturelles. Un exemple tiré de la communication : certaines cultures induisent une communication implicite, avec une très grande sensibilité, qui suggère les problèmes plus qu’elles ne les explicitent. Ça ne pose aucun problème aux membres de cet ensemble culturel. J. Demorgon (1) voit l’origine de cette forme de communication implicite dans le système de « cour » des structures pyramidales. On peut la retrouver à l’œuvre aujourd’hui dans les états centralisés ou dans des entreprises. D’autres systèmes culturels induisent une communication explicite, qui implique beaucoup de clarté et de précision. Leurs membres formulent directement leurs pensées et sentiments et ils y trouvent leurs repères. A l’origine d’un tel système culturel, il y a des structures fédératives, qui nécessitent un rapide accès aux informations importantes. Des personnes issues de ces deux systèmes culturels qui se rencontrent vont se trouver confrontées à la valeur „vérité“. Celles à préférence „implicite“ risquent de percevoir les autres comme „arrogantes“, « prétentieuses », dans leur rapport à la « vérité ». Celles à préférence „explicite“ seront aussi en insécurité : elles soupçonneront peut-être que les autres veulent masquer une part de vérité et ou même, qu’elles mentent. Cet exemple montre, que les mêmes valeurs sont interprétées à partir de la préférence culturelle. Dans les sociétés transculturelles d’aujourd’hui, nous avons besoin d’outils de communication pour prévenir les conflits de valeurs, fruits de jugements hâtifs, et pour mieux percevoir / observer les différences d’interprétation. Cela suppose du dialogue, depuis l’école et tout le long de la vie. Les valeurs sont des repères, des étoiles. Elles nous aident au voyage collectif à travers la vie. Elles sont la source de confrontations et d’espérance. Nous pouvons nous en servir comme guides, sans jamais les atteindre.
Karl-Heinz Bittl,
formateur-consutant en A.T.C.C © , directeur de l’E.I.C.C.C. à Nuremberg.
(1) J. Demorgon, Complexité de cultures et de l’interculturel, Paris 1996
Texte publié dans Non-violence actualités n° 303 Mars Avril 2009
www.nonviolence-actualite.org/
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