Par Hervé Ott
Cette brochure est composée
d’un texte qui décrit le contenu de ce qu’on appelle le « courage civil ». A partir d’exemples vécus d’incivilités ou d’agressions de la vie quotidienne urbaine, une recherche est développée pour cerner les mécanismes individuels mis en jeu dans ces situations. Des outils et exercices de formation qui permettent d’approfondir ces thèmes et de se former à d’autres comportements sont présentés.
d’une série d’articles publiés dans la presse ces dernières années, de conférences, de recensions de livres autour du thème de la formation face aux violences urbaines et incivilités.
Format : 24 pages A4. Nouvelle édition mise à jour Avril 2009
EXTRAIT :
Introduction
On trouvera dans les pages qui suivent
une étude de cas d’incivilités et des questions qu’ils soulèvent ;
différents articles inédits ou publiés dans la presse.
Ils ont tous un lien, par leur contenu, avec la formation auprès des personnes, professionnelles ou bénévoles, qui sont impliquées dans un travail social.
Ils ne prétendent pas proposer une synthèse exhaustive des questions soulevées par ce qu’on appelle les “violences urbaines”, les incivilités, mais dévoiler une approche et des méthodes pour transformer les situations en apparence bloquées.
Cette brochure peut provoquer des réactions, susciter l’envie d’apporter des éléments complémentaires. Que cette occasion d’approfondir notre démarche de formation et d’implication soit saisie pour me faire part de la vôtre.
Le courage civil
Cette expression de “courage civil” vient des milieux anglo-saxons, comme celle de “désobéissance civile”. Ici, non seulement “civil” s’oppose à “militaire”, mais il contient l’idée qu’il s’agit d’une intervention au profit du grand nombre : “civil”, à l’origine de “civilisé”, s’opposerait donc à “délinquant”.
Quant au “courage”, il renvoie à des situations perçues comme dangereuses. Il est alors nécessaire de dépasser la peur qu’elles provoquent en nous, pour ne pas rester avec un sentiment de lâcheté qui va faire le lit des incivilités, injustices, violences en tous genres, voire des dictatures.
Nous allons voir que cette notion recoupe en fait un très grand nombre d’éléments constitutifs de la vie sociale. Et nous verrons aussi comment on peut se former à développer son “courage civil”.
En parlant de “courage”, nous renvoyons à une attitude individuelle. Dans ce qui suit, il sera essentiellement fait état de comportements individuels. S’agissant des comportements de groupe, il faudrait développer d’autres notions, telles que les “rôles” (leadership, bouc émissaire etc.), le pouvoir, la responsabilité, l’autorité, etc. Mais cela nous entraînerait trop loin par rapport à l’objectif de cette étude.
Des exemples tirés de la vie quotidienne
Une personne fait la manche, vous hésitez mais lui donnez une pièce, sans vous attarder… et vous avez un sentiment de malaise, parce que vous vous dites que cette personne a peut-être plutôt besoin d’échange, de parole.
Même situation : vous êtes sollicité-e par une femme, visiblement d’origine étrangère, pour de l’argent. Pour éviter de revivre la situation précédente, vous lui posez des questions sur sa situation. Vous donnez une pièce, la personne vous supplie de lui donner un billet, vous parle de ses enfants qui ont faim… Devant son insistance, vous lui proposez de l’accompagner jusqu’au prochain magasin et de payer pour telle somme. Elle vous remercie, mais vous “jure” sur la tête de tous ses enfants que vous pouvez lui faire confiance, qu’elle peut acheter toute seule, et vous accuse de ne pas lui faire confiance parce qu’elle est étrangère… Arrivés dans le magasin, vous réaffirmez que vous ne donnerez pas plus que telle somme et l’attendez à la caisse. Quand elle revient, le total de ses “achats” est bien supérieur à vos engagements…
Vous êtes en voiture et arrivez à un carrefour tout embouteillé. Au bout d’un moment, impatient, vous sortez de votre voiture et constatez en vous approchant que deux hommes sont en train de se battre. Leurs voitures se sont heurtées et bloquent la circulation. Vous êtes partagé entre votre désir d’agir, votre peur de recevoir des coups et le fait d’intervenir devant tout le monde.
Vous êtes dans un bus, un métro. Quatre ou cinq jeunes gens fument alors que c’est interdit. Vous râlez intérieurement parce que vous n’admettez pas que la règle ne soit pas respectée. Les autres personnes font semblant de ne pas voir, rouspètent ou toussent ostensiblement, ce qui ne fait que renforcer la “provocation” des jeunes.
Vous êtes dans un bus. Monte une personne un peu éméchée qui fait la manche et agresse verbalement les personnes qui ne donnent rien. Des voix agressives se font entendre, qui rendent la personne en train de faire la manche encore plus nerveuse. Finalement, cette personne descend du bus en insultant copieusement tout le monde. Vous ressentez un soulagement et un sentiment de culpabilité. Tout le monde se met à parler pour critiquer cette personne, se plaindre de l’insécurité…
Vous montez dans un bus. Trois jeunes gens sont debout dans le couloir, une jeune fille saute sur un des fauteuils. Interloqué-e par ce comportement, vous regardez les garçons qui rigolent. Ils captent votre regard et vous interpellent :
“ qu’est-ce qu’y a ? Ça vous dérange ? ”. Il y a très peu de monde dans le bus, vous vous sentez seul-e.
Vous êtes dans le train. Une personne utilise son téléphone portable et parle à voix haute. Vous n’arrivez plus à vous concentrer. Votre voisin-ne se plaint juste assez haut pour que vous l’entendiez, pas assez pour être entendu-e de la personne qui téléphone.
Vous voulez sortir de votre immeuble pour faire une course rapide, vous êtes pressé-e. Des jeunes gens sont sur les marches de l’escalier et entravent ostensiblement le passage. Vous leur demandez de se pousser un peu, ils vous agressent verbalement et vous entendez lorsque vous passez la porte : “ toi, de toute façon, on ne te laissera pas rentrer. ” Après votre course, vous rejoignez votre immeuble la peur au ventre, hésitant à appeler la police.
Ces exemples ont été vécus, sont réels. Ils évoquent facilement en nous d’autres exemples et nous renvoient à un vécu :
– peur de rappeler la règle commune à une personne qui n’en tient pas compte (fumer là où c’est interdit) ;
– peur de faire part de votre dérangement face au bruit (téléphone portable) ou aux comportements bizarres ;
– peur de vous distinguer dans un groupe dont les membres restent passifs face à une injustice ;
– peur d’intervenir pour séparer des personnes qui se battent ou protéger des personnes dont vous estimez qu’elles sont victimes d’une agression ;
– colère contre les propos qui vous blessent, colère contre vous même ;
– honte de vous sentir “lâche”, incapable d’intervenir, surtout si vous ressentez un soulagement, suite au départ de la personne qui dérange ou à l’arrivée d’agents de l’ordre public ;
– honte et culpabilité parce que la personne qui vous sollicite vous touche sur des points sensibles : “vous ne faites pas confiance”, sa “misère”, son “origine étrangère”, etc.
Avec du recul, vous avez plein d’idées sur ce que vous auriez pu, dû faire. Vous vous en voulez encore plus de ne pas avoir eu la “présence d’esprit” pour agir. Vous êtes d’autant plus en colère ou honteux que vous sentez bien le lien de cause à effet entre votre passivité et l’augmentation des actes d’incivilités, de délinquance… Vous pouvez alors essayer de chasser ces pensées en banalisant la situation (“ finalement, ce n’était pas si grave ”), en cherchant à vous déculpabiliser (“ c’était trop dangereux d’intervenir, moi tout-e seul-e ”), en devenant agressif (“ ce sont des gens dangereux ”, “ avec tous ces étrangers, on n’est plus en sécurité ”, “ la prochaine fois, je leur casse la gueule ”), en fuyant (“ mais de quoi je me mêle, ce n’est pas mon problème après tout ”, “ que fait la police ? ”).
Ou alors vous restez avec ce sentiment de culpabilité qui ranime votre détermination déjà plusieurs fois affirmée de travailler là-dessus personnellement (“ pourquoi est-ce que je me comporte ainsi quand j’ai peur ? ”) ou en groupe ou politiquement (“ je vais adhérer à un parti pour que soit posé le problème de la sécurité et de la passivité des gens ”).
(…)