La médiation auprès des familles du monde agricole s’inscrit dans un contexte socioculturel tout en paradoxes qu’il convient de préciser.
A.UNE FAMILLE QUI EST EN MEME TEMPS UN MILIEU PROFESSIONNEL
1.Un travail familial.
L’agriculture, malgré son développement technico-économique sans précédent a continué à s’organiser selon une structure familiale de production. Le rapport familial est un rapport dont on ne se rend pas compte, c’est naturel. Si les membres de la famille sont interdépendants de fait, ils se doivent de cultiver leurs interactions afin de vivre dans un contexte d’entente plutôt que d’affrontement ; ce qui sera porteur pour le rendement de l’exploitation.
2.Une société familiale avec une très longue histoire, patrimoniale et familiale.
La famille est un groupe unique, spécifique tout à fait différent du groupe professionnel. C’est le groupe qui est à l’intersection du biologique et du social (on y naît, on y meurt). C’est le lieu de rapport de générations. Il y a eu des parents et un enfant dans une relation et on va trouver le GAEC* père/fils. * Groupement agricole d’exploitation en commun
C’est complètement contradictoire dans la structure et dans le fond. Juridiquement ce sont des associés alter-ego et ils ont une histoire qui est une histoire de génération. Ce rapport préalable ne s’efface pas, il se travaille se transforme, mais ne s’oublie pas.
3.Un échange en termes de don et contre-don.
Les échanges dans la famille sont des échanges de dons. Il n’y a pas de GAEC père/fils à la naissance, il n’y a pas de contrat. En même temps qu’il y a ce don de parent sur l’enfant, il y a une attente en retour, une attente de réciprocité qui est souvent masquée et qui donne parfois des problèmes conflictuels. Le père peut dire « Moi, mon fils il fera ce qu’il veut ! » Mais… Mon exploitation qui vient de mon père, de mon grand-père… ! Je voudrais qu’elle continue et par qui ? …Par quelqu’un de mon sang de ma lignée. Qui mieux que mon fils (…ou ma fille) !?
4.Un isolement géographique. Un voisinage présent.
Bien que les exploitations soient dispersées sur un territoire, la connaissance des uns et des autres est forte, inscrite dans un tissu social chargé d’histoire. Cet isolement demande que le système familial se régule de l’intérieur.
B.UN GROUPE FAMILIAL QUI EVOLUE DANS LE TEMPS
1.Une rupture avec ce qui se faisait avant.
Une transmission de patrimoine, même à son fils, va provoquer un changement de nature. Lorsque le fils reprend la ferme il n’y a pas d’entretien d’embauche. Il passe par la pure relation familiale qui est une relation patrimoniale. La plupart du temps les parents restent. La conjointe est forcément une étrangère. Elle porte une menace de changement trop importante par rapport au milieu. (Mari et femme ne peuvent pas créer un GAEC).
Pour l’exploitant qui devient retraité, transmettre, c’est à la fois se dessaisir mais pour se dessaisir, il faudrait déjà être ailleurs, parce qu’autrement il y a une peur terrible : il y a la peur de ne plus travailler mais il y a surtout la peur que son travail n’ait plus de valeur.
(Il y a plus de transparence dans un GAEC que dans l’exploitation familiale. Le fait juridique est un fait qui pousse. Il y a un règlement intérieur ; même s’il n’est pas respecté, il peut y avoir confrontation. La venue d’un tiers-associé aide à préciser les choses.)
2.Une usure
Les symptômes passent parfois inaperçus : quoi se dire ? Manque de répit, parents retraités fatigués, désaccords sur les orientations, engagements à l’extérieur, moins de fêtes et de réunions familiales…. La vigilance sur les relations et le fonctionnement du groupe familial devrait être aussi importante que la vigilance technico-économique de l’exploitation.
3.Des conflits
Avant c’était le groupe familial et la morale familiale qui faisaient autorité, qui régulaient. Aujourd’hui, c’est un autre échange familial. S’il y a beaucoup d’individualisme à l’intérieur de la famille, il y a surtout une recherche d’être « individualisé », non confondu avec le groupe familial. La plupart du temps, les conflits en restent aux non-dits ou à une dispute violente verbalement dont on ne reparlera plus, mais qui laissera des distances et des blessures.
Là où depuis des années « on s’en est bien sorti seuls », là où tout le monde se connaît et sait tout sur tous, parler de ses histoires de familles et de plus à des étrangers ne se fait pas. « Et puis… cela va coûter cher, on n’a pas le temps, pas question que les voisins sachent qu’on a besoin de quelqu’un… »
Qui demande une médiation sur cette problématique des relations entre enfants devenus exploitants avec leurs parents en activité, jeunes retraités ou devenus âgés ?
Jusqu’à présent mon expérience en Aveyron témoigne de trois catégories :
les parents eux-mêmes pour régler leur départ de l’exploitation, leur place, et répartir leur patrimoine entre leurs enfants. Les enfants peuvent être eux-mêmes en conflit entre eux ou/et avec les parents. L’organisation de la vie des parents sur place est implicitement au cœur de ces débats.
Un membre du GAEC familial sur des problématiques d’entreprise : répartition du travail, sens du projet, conflits relationnels internes.
Un membre de la fratrie, extérieur à l’exploitation, contestant les conditions de la vie de leur(s) parent(s) âgé(s) sur l’exploitation.
Dans tous les cas, le niveau de conflit latent est très élevé et dure depuis plusieurs années. Ce sont des médiations longues, chargées émotionnellement, le chevauchement des enjeux affectifs et professionnels pesant très lourd.
Nicole Bernard. 28 avril 09
Consultante, formateur, médiateur pour Médiation Aveyron
mediationaveyron@wanadoo.fr www.mediationaveyron.com
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