par Jean-Jacques Samuel
in. Conflit, mettre hors-jeu la violence,
Collectif réuni par Non-Violence Actualité.
Chronique Sociale, Lyon, nov 1997.
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EXTRAIT :
Gérer la peur
Avant tout, il faut reconnaître à la peur son utilité en tant que signalisation du danger. Personne ne saurait survivre sans elle. Nous nous jetterions en aveugle dans des situations dangereuses. La peur met aussi à note position des forces que souvent nous ne soupçonnions même pas. Parmi ces ressources exceptionnelles, la moindre n’est pas la mise en alerte de tous nos sens. Cette peur-signal nous permet d’affronter le danger avec les meilleures chances de succès. Comment se fait-il donc que la peur, à d’autres occasions nous paralyse, nous laisse prostré, provoque des réactions impulsives, contre-productives ? N’oublions pas la place de l’imaginaire dans notre fonctionnement mental. Le danger signalé par la peur est-il réel ou fictif ?
Un jeune délinquant confiait qu’il était mort de frousse quand il longeait mur du cimetière de son village pour aller prendre le bus, au point qu’il ne pouvait s’empêcher de courir… alors que le même n’hésitait pas une minute à sauter sur quelqu’un qui le regardait de travers sans craindre les coups ni évaluer le risque de se retrouver en prison à force de récidive.
Autre situation vécue lors d’une mission humanitaire au Guatemala où il s’agissait d’accompagner des personnes menacées. Chaque jour, on trouvait dans des fossés au bord des routes, morts et torturés, deux ou trois syndicalistes, militants des droits de l’Homme, catéchistes, etc. La peur-signal éprouvée par les militants des droits de l’Homme était très utile car c’est partir de celle-ci que l’équipe avait mis au point une série de mesures de sécurité.
La peur est souvent liée à des angoisses qui remontent à l’enfance, et sans le moindre rapport avec la réalité du moment. Sur le signal de peur se greffe la pensée qui va réalimenter l’émotion en ramenant à la surface (pas toujours consciemment d’ailleurs) les souvenirs du passé, nous laissant croire que la même chose va se reproduire, surtout si ça s’était mal terminé. La perception on plus ou moins confuse de cela nous enferme dans un cercle vicieux – peur d’avoir peur et ainsi de suite… – jusqu’à la panique voire, parfois, l’aliénation (séparation d’avec le monde réel).
Se relier
Pour gérer ces phénomènes, fixons-nous pour objectif de rester au niveau de la peur-signal d’un danger réel. Comment y parvenir ?
La première attitude positive est d’accepter d’avoir peur, sans se prendre pour un lâche ou essayer de passer pour un héros. Martin Luther King disait « notre problème n’est pas de nous défaire de la peur mais de la maîtriser ». A partir de cette attitude nous devons être capable de nous relier de trois manières :
D’abord se relier à soi-même. Un moyen efficace peut être tout simplement de respirer consciemment en prenant soin d’expirer longuement. La peur dans notre passé d’enfant nous a probablement coupé le souffle comme nous pouvons le remarquer chez les enfants, aujourd’hui. Par la respiration, nous revenons au présent et nous oxygénons notre cerveau. Nous ne nous laissons pas happer par l’engrenage. Il peut être utile aussi, de nous mettre à l’écoute de nos sensations corporelles. Nous allons découvrir ce qu’est la peur : estomac noué, sueurs froides, pâleur, gorge sèche, poitrine oppressée… Et derrière tout cela, nous allons sentir la vie en nous, force sous-jascente, à notre disposition. Les pratiquants de yoga ou d’arts martiaux mettront leur conscience dans le fameux « hara » des Japonais, centre de gravité du corps humain, un peu au-dessous du nombril. Ce n’est que par une pratique corporelle régulière que, le moment venu, nous serons capable de nous relier intérieurement par une réponse réflexe au danger.
Se relier à la situation : nous sommes en train de respirer ; la pensée n’a pu encore s’emballer et nous pouvons voir la situation avec un peu plus d’objectivité. Combien de parents focalisés sur leur querelle n’ont pas remarqué que leur enfant écoutait, muet de terreur, leurs discours furieux lors d’une empoignade. Il est nécessaire de percevoir l’ensemble de la situation pour parer au danger, anticiper les conséquences de nos actes. Nous pourrons ainsi tirer partie de la présence d’un tiers ou d’un événement fortuit (ou à créer) qui va nous sauver la mise.
Enfin, se relier à l’autre : agresseur avéré ou potentiel. Reconnaître une personne humaine sous le masque de colère ou de haine. Reconnaître dans son cri, son désespoir, sa peur, sa souffrance, son impuissance. Sans naïveté, sans illusion, lui accorder le statut d’être humain en évitant de se laisser fasciner par son apparence monstrueuse. Nous reviendrons sur ces points plus loin.
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