par Hervé Ott
in. Conflit, mettre hors-jeu la violence,
Collectif réuni par Non-Violence Actualité.
Chronique Sociale, Lyon, nov 1997.
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EXTRAIT :
Pour une approche constructive des conflits dans les groupes
Dans de nombreux groupes on rencontre des conflits qui pour être particuliers et souvent très personnalisés n’en sont pas moins courants et répétitifs.
On connaît les conflits de pouvoir entre deux personnes ou deux sous-groupes, conflits qui peuvent être renforcés à l’occasion d’élections ou de votes. Il est fréquent de constater qu’ un petit nombre de personnes assume- en s’en plaignant- l’essentiel des responsabilités alors que le grand nombre ne cesse de se lamenter de l’hyperactivité des premiers… ou s’en contente pour pouvoir leur reprocher le moindre faux pas. On déplorera sans pourtant se donner les moyens de les éviter, les mécanismes d’exclusion dont on ne voir pas l’implacable logique.
L’analyse montrera vite que ces conflits se nourrissent pas seulement des comportements individuels mais aussi des structures : ces sont les modes de fonctionnements qui génèrent ces mécanismes de violence, sinon d’exclusion.
Dans les stages que j’anime et où sont étudiés des conflits de groupe, apparaissent systématiquement les mêmes formes de conflits : abus de pouvoir pour les uns, nécessité de décider vite pour les autres…, rivalités de personnes au sein des instances directrices… , cumul de fonction par absence de bonnes volontés…, décisions obtenues à l’arraché par un vote acquis de justesse… élection à des postes jugés importants de personnes sans compétences afin d’éliminer telles autres jugées dangereuses…groupes qui disparaissent après de départ d’un-e “leader”, sur fond de conflits de personnes…
L’enjeu d’une telle pratique est culturel, car nos schémas de fonctionnement sont très imprégnés, même à notre corps défendant, d’une logique de la domination.
Tout groupe va se structurer autour de deux grands axes :
Un groupe est un organisme vivant, qui s’il est ouvert est en permanente recomposition au fur et à mesure des arrivées et des départs. S’il est fermé, il se fossilise… Ainsi il va s’organiser autour de deux grands axes :
1) Les rôles, les fonctions ou les responsabilités qui commandent en réalité le monopole, la délégation ou le partage du pouvoir ; il en résultera ou non une hiérarchie, une pyramide du pouvoir, un partage du travail entre ceux qui décident et ceux qui exécutent, des procédures de décision par vote ou par consensus, d’élection ou de choix, de leadership (appelé dorénavant “catalysateur”). L’enjeu de cet axe est celui de la capacité à créer des structures qui vont générer de la prise de responsabilité par les individus.
2) Le lien (les relations, l’affinité, l’accueil de la souffrance et de la joie individuels, l’affectif) d’une part, et la tâche, (la production, les buts à atteindre, le rationne…) d’autre part. Certains groupes se structurent sur l’une ou sur l’autre essentiellement.
L’enjeu est le respect ou non de ce qui relève de l’émotionnel et des sentiments d’une part, de la raison, de la décision collective, de la projection en avant pour réaliser un but d’autre part. Bref de l’accueil de tout ce qui fait l’être humain dans sa totalité : car l’inverse relève de l’exclusion, violence par excellence.
Plus important encore est à saisir que tous les conflits non-gérés à l’intérieur du groupe ne pourront pas l’être à l’extérieur. Ainsi l’inefficacité rencontrée par nombre de groupes “militants” s’explique déjà par une incapacité à régler un certain nombre de problèmes internes. Je ne dis pas cela pour culpabiliser, mais pour interpeller.
Instituer la régulation des conflits.
Les relations entre les personnes vont – à terme – être aussi importantes que ce qui fait l’identité du groupe, ses activités. C’est pourquoi il faut dès le départ y investir du temps. Et ce temps ne sera jamais perdu car ce sont les relations de confiance, de respect, qui vont permettre aux membres d’un groupe de travailler en coopération et non en concurrence. Les relations de confiance ne se décrètent pas, elles se construisent à partir d’une transparence dans les responsabilités, mais aussi en fonction de la qualité d’écoute qui sera produite dans le groupe.
Nous sommes tous des êtres faits d’émotions. Celles-ci peuvent complètement perturber, sinon très fortement influencer nos capacités intellectuelles, rationnelles. Derrière des attitudes de fatigue, de retard, d’énervement, peuvent se cacher des questions fondamentales qu’il est impossible d’aborder en réunion de “production”. En plus des moments de fête, de détente, de repas, nécessaires à tout partage d’affectivité, il importe donc d’instituer à intervalle régulier, un temps spécifique où ce partage d’émotions, de souffrances, de joie, trouvera sa place sans paraître incongru ou dérangeant. Car ne pas instituer d’avance ces temps, conduira à des blocages d’écoute, de dialogue, voire même des attitudes de sabotage inconscient.
Ce type de partage, suppose la définition de règles encore plus précise peut-être : chaque personne s’exprimera très personnellement (en “je”, en terme de désir, de colère, de joie…) , à partir des émotions provoquées en elle par tel ou tel comportement, parole ou événement. Et elle sera assurée d’avoir été entendue par des réactions toute aussi personnelles des autres, une reformulation de ses propos etc.
Une personne sera chargée d’animer ces partages, de les préparer, de les suivre dans la durée et d’être vigilante quant aux formes d’expression individuelles. Elle proposera des méthodes d’échanges qui permettent surtout l’expression symbolique et sensible (dessin, mime, collages, silence, musique…)
Lorsque ces échanges font apparaître des questions de fonctionnement, celles-ci seront précisées et renvoyées aux instances, aux responsables, pour être traitées au fond. D’une façon générale, ce lieu d’échange n’est pas un lieu de décision en terme de fonctionnement, de structure, ce qui permet justement de se sentir libre dans l’expression.