Accompagnements d’équipes de Direction
Stress et RPS : la nécessité de former le management à la relation
Les formations à la « gestion du stress » ont souvent constitué un moyen commode pour répondre à des demandes de collaborateurs, dont la prise en compte aurait demandé une intervention complexe. Or la matérialisation spectaculaire du risque psychosocial dans des entreprises qui proposaient pourtant des formations à la prévention du stress invite à s’interroger sérieusement. Et ce d’autant plus qu’en France, l’obligation faite aux entreprises de négocier spécifiquement sur ce sujet entraîne un accroissement de la demande d’intervention.
Qui doit apprendre à faire face au stress… les individus ou les organisations ?
Confrontés à une situation difficile, certains individus vont réussir à faire face, là ou d’autres éprouveront une grande souffrance. D’où la conclusion parfois trop rapide que la capacité à répondre au stress est d’abord d’ordre individuel et qu’il convient donc de renforcer les personnes pour qu’elles soient capables d’assumer. Cette logique rejoint celle de l’offre, nombre de médecins proposant désormais aux entreprises une approche marquée par la psychopathologie. Les individus peuvent alors comprendre les typologies, apprendre les mécanismes physiologiques du stress et les moyens de l’atténuer. L’inconvénient de cette approche et qu’elle conduit à traiter les conséquences des dysfonctionnements des organisations d’abord comme des défaillances personnelles. Or on constate que certains services ou organisations « produisent » manifestement davantage de personnes stressées que d’autres. La question se pose alors de l’efficacité d’une approche issue de la pratique médicale quand ce sont les pratiques managériales qui sont en cause.
Stress et stratégie : un lien tabou
Distinguer bon et mauvais stress, apprendre à le canaliser, à le prévenir dans son organisation… Ces questions ont leur utilité, mais le véritable enjeu stratégique est celui du rapport entre la fin et les moyens de l’acceptabilité d’une certaines forme de souffrance au travail. Tout en se réclamant sincèrement de certains valeurs, nombre d’équipes dirigeantes fonctionnent avec la croyance « qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » et que la mise sous tension de leur organisation passe nécessairement par une certaine pression sur les personnes. A fortiori dans des secteurs où l’emploi est protégé. Or l’on observe un lien direct entre la défense de ces croyances et la fréquence de certains désordres organisationnels : – accroissement des objectifs de rentabilité sans accroissement du niveau global de performance des organisations concernées,
rivalités entre personnes au détriment des objectifs opérationnels, incapacité à faire exister un respect élémentaire des individus – y compris vis-à-vis des clients internes et externes, – harcèlement par transgression des limites inhérentes à la fonction de manager,
empilement d’échelons intermédiaires qui auraient pour fonction essentielle de désamorcer des tensions relationnelles au sein de la hiérarchie,
jeux de chaises musicales aboutissant à des affectations déconnectées des pré requis pour tel ou tel poste,
flou dans les orientations,
pilotage à court terme,
volonté managériale de « mettre des coups de pied dans la fourmilière » inversement proportionnelle à la capacité de manager efficacement, etc. Tout ce passe comme si certains dirigeants, par leur stratégie « autorisaient », à des niveaux et sous des formes multiples, un certain niveau de souffrance. Or, cela aboutit dans les faits à autoriser une détérioration profonde de l’efficacité de leur organisation.
Un mode de management basé sur l’insécurité
Un dirigeant sous stress inutile, « projette » cette anxiété et survalorise la pression comme moyen de management. Il s’éloigne alors de son seuil de compétence critique, qui consiste précisément à compenser l’aléa humain par de la robustesse organisationnelle. Il passe alors son temps à gérer des problèmes, ce qui accroît son niveau de stress, diminue sa capacité de structuration et de prévention et ainsi de suite. Cela devient un véritable mode de management. Visibilité forte du poste, stress maximal, inefficacité maximale. « C’est un poste très exposé, on ne peut pas faire autrement ». Sauf qu’un successeur judicieusement choisi à l’extérieur de l’organisation pourra démontrer l’inverse. Et, en prime une perte fréquente des ressources rares, précisément celles capables d’anticiper plutôt que de réagir. En termes techniques, cette suractivité est un évitement, une manière de créer des occasions d’agitation, avec comme bénéfice secondaire, une forte impression de motivation (le trop fameux « bon stress »), et surtout l’absence de disponibilité d’esprit pour se confronter aux véritables questions stratégiques, qui elles, deviennent véritablement anxiogènes. Le sentiment d’insécurité sur-conditionne toute l’organisation. Avec son corollaire, la nécessité de se montrer « fort » et le déni de son propre stress et de celui que ce type de management génère.
Etre garant d’une sécurité propice à l’efficacité opérationnelle
Les managers peuvent avoir peur de devoir « jouer à la nounou », alors que la gestion des affects de leurs collaborateurs est absente de leur fiche de poste. De même, la croyance en la maîtrise absolue de ses affects produit des dégâts à long terme beaucoup plus graves que leur expression légitimée et canalisée. Nombre de managers déclarent en coaching d’équipe ne pas éprouver d’émotion. Quand c’est possible, un travail rapide montre qu’ils en éprouvent en fait en permanence – c’est une des bases du fonctionnement cérébral – mais qu’ils n’en sont pas conscients. Au motif de vouloir tenir les émotions à distance, ils « infligent » en fait leur état émotionnel à leurs équipes et à leurs processus décisionnels. Ce refoulement est à l’origine d’un grand nombre de sur-stress et de dysfonctionnements organisationnels coûteux. Inversement, certains collaborateurs utilisent l’expression des affects comme un moyen de chantage, de culpabilisation ou d’accusation. Éprouvant un fort sentiment d’impuissance, nombre de managers ont tendance soit à « s’écraser », soit à mimer la toute-puissance et à réagir en humiliant, volontairement ou non, les personnes concernées. La machine à fabriquer du stress est alors lancée…
Qu’on le veuille ou non, un manager doit « faire avec » ces affects. Le stress infligé ou subi peut être à chaque fois « lu » comme un besoin d’apprendre à assumer les aspects émotionnels de sa fonction :
Comment permettre à des personnes de canaliser l’énergie liée à leurs affects ?
Comment accueillir, au lieu d’ignorer, banaliser, voire juger ou condamner, les expressions émotionnelles en réunion d’équipe ou lors d’un entretien et comment intervenir pour aider les personnes à se sentir mieux ?
Comment réagir face à des personnes qui se posent en victime et comment canaliser les réactions des personnes qui se sentent culpabilisées ou agressées ?
Comment être à la hauteur de sa responsabilité en intervenant pour faire cesser les processus de groupe destructeurs, générateurs de phénomène d’exclusion (émergence de « bouc- émissaire » ou plus généralement de risque psychosocial ?)
Comment faire garantir des limites claires, des règles confortées par une échelle de sanctions préétablies, bref comment être « garant », chacun/e à son niveau, d’un climat de travail et de sécurité porteur d’efficacité collective ?
Faire face à la dégradation de la relation managériale
La contrainte libère : de même que le fait de disposer de peu de temps peut faire faire des prouesses en termes d’efficacité – quitte à générer du stress – le fait de s’interdire la pression sur les personnes comme mode de management permet de « renverser la vapeur ». Cela nécessite d’inviter le management à développer un sentiment de sécurité pour lui-même et parmi les collaborateurs. L’objectif est que la logique d’action d’une organisation soit basée davantage sur l’intelligence de situation que sur la peur – seule vraie garantie de sécurité pour des dirigeants. La réduction du stress dans une organisation (et, l’accroissement de l’efficacité collective) requière fondamentalement une formation des manager … à la relation : – des équipes peuvent être parasitées par la souffrance d’une seule personne statutairement indéplaçable : comment en limiter les effets ? – les signes précurseurs et symptômes trahissent une souffrance refoulée : comment anticiper sur leurs effets d’implosion ou d’explosion ? – des personnes font part de leur souffrance : comment garder la bonne distance dans l’écoute, en limiter les effets sur soi-même et donner des signes d’empathie qui vont leurs permettre de traverser / dépasser cette situation ? Derrière cette souffrance se cache souvent une sensation de rejet, de contrôle excessif, d’aliénation ou de perte des repères : comment l’entendre ? Comment mieux prendre en compte les besoins fondamentaux de ses collaborateurs tout en restant dans les limites de sa fonction ? Par delà les obligations de service et les exigences de productivité, comment rester vigilant sur la nécessité de relations respectueuses des personnes ? Il est toujours impressionnant de constater comment le travail de « grands » managers consiste simplement, en partant de situations souvent très dégradées, à reconstruire les conditions qui permettent à leurs équipes de donner à nouveau le meilleurs d’elles-mêmes. C’est souvent la capacité de ces managers à cadrer, prévenir et transformer des situations relationnelles délicates qui diminue le stress de leurs équipes et qui renforce leur capacité à se concentrer sur l’obtention de résultats.
Développer des méthodes d’action concrètement actionnables par des dirigeants
Comprendre que la diminution du stress va bien au-delà d’un savoir-faire individuel, identifier la manière dont les organisations et les fonctionnements managériaux « produisent » du stress, assumer son rôle de garant du climat relationnel dans le de travail, prendre conscience de sa responsabilité d’intervenir dans des situations dégradées est une chose. Savoir le faire en est une autre. On voit ici toute l’ambiguïté du recours à des cabinets spécialisés pour « externaliser » la prise en charge du stress. Ou des formations de quelques jours à la prévention du stress alors que celui – ci est d’abord fondamentalement une résultante de représentations, de pratiques collectives, de stratégies, de compétences managériales souvent profondément ancrées. Il est cependant possible d’être relativement efficace à l’intérieur de formats d’intervention restreints, à trois conditions : – sortir de l’illusion selon laquelle une formation générique à la prévention du stress pourrait avoir un quelconque impact dans une organisation, car ce qui importe c’est d’agir sur les facteurs de stress spécifiques à une organisation. Cela passe donc par une phase – même brève – de diagnostic préalable. – renoncer aux réponses « consuméristes ». Face à un problème complexe la tentation est de consommer des dispositifs – questionnaires, observatoires, numéro verts, plans etc. qui peuvent donner provisoirement l’illusion que l’on agit, mais qui dans les faits laissent penser au management qu’il existe des solutions techniques qui leurs sont extérieures et qui – in fine – les déresponsabilisent. – clarifier que seul un accompagnement d’équipe dirigeante peut produire des résultats durables. Cela passe par l’intégration de la variable « stress » jusque dans les modalités d’application des décisions stratégiques, puis dans des dispositifs de cascade managériale et de mesures de résultats très précis.
Ceci posé, une intervention de prévention du stress consistera à mettre en place un programme d’action concret pour permettre à chaque dirigeant de répondre pour son entité aux questions suivantes : – Quelles sont les options stratégiques qui sont intrinsèquement porteuses d’un accroissement de stress sans commune mesure avec les bénéfices escomptés ? – Quelles sont les règles à poser et garantir, quels sont les processus vertueux à stimuler dans une équipe, pour favoriser et encourager une expression plus libre et respectueuse des individus ? – Comment confronter, recadrer, et respecter une personne qui déborde du cadre de sa mission ? – Comment sortir d’une situation d’impuissance ou de toute-puissance et assumer sa position de « garant » puissant ? – Comment mettre en place des formes de relations qui permettent d’ajuster sa propre façon de diriger un collectif ?
Prévention du stress, mais aussi rétention des hauts potentiels, valorisation des talents, intégration des nouvelles générations, développement de la diversité, emploi des seniors, un grand nombre de préoccupations RH tournent autour d’un même défi : dépasser des relations professionnelles souvent frustres. L’erreur serait de croire qu’il s’agit d’une fatalité. C’est même exactement l’inverse : la plupart de nos interventions démontrent qu’il est possible de développer la qualité des relations au travail. Pour peu que l’on sorte des dispositifs alibis, des outils existent, la rentabilité de tels investissements est évidente. Le reste est affaire de responsabilité managériale.
Etienne Bufquin & Hervé Ott – Avril 2010
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