Accompagnement lors d’une situation de conflit dans une école
L’exemple ci-dessous donne à voir comment une crise peut être accompagnée avec l’Approche et transformation constructives des conflits (A.T.C.C.®) et devenir une opportunité de changements.
Interpellation : sollicitation reçue par mail fin décembre de la part d’une enseignante rencontrée lors d’une formation :
« A l’école nous sommes dans ce qui doit s’appeler une situation de crise entre l’équipe des enseignants et celle des aide-maternelles. Deux enseignantes sont en arrêt maladie…. sur 5 ça fait beaucoup. Il n’y a plus de communication entre les 2 équipes et des enseignantes sont maintenant accusées de maltraitance. Ce soir nous avons eu une réunion avec le bureau de l’association, j’ai parlé de vous, de l’aide que certainement vous pourriez nous apporter. Cela fait longtemps que j’y pense et malheureusement c’est dans l’urgence que la démarche se fait. »
Les personnes :
- des parents d’enfants (3 à 12 ans) scolarisés, investis dans le fonctionnement d’une école associative (sous contrat avec l’état) organisée en bureau et en commissions opérationnelles
- cinq enseignant.e.s
- quatre personnels non enseignants salarié.e.s de l’association
Acte 1 (début janvier) : rencontre des trois co-président.e.s, de la directrice et de l’enseignante à l’origine de la demande.
Ayant besoin de voir et d’entendre les personnes en direct, j’initie cette rencontre très rapidement après les fêtes de fin d’année. Lors de cette réunion, je pose le cadre de cette rencontre dont l’objet est de faire connaissance et pour moi d’entendre ce que chacun.e dit de la situation. J’entends de la colère, de l’inquiétude de part et d’autre, tant pour les enfants que pour les adultes et pour l’avenir de l’école. Je perçois de la souffrance et de la méfiance entre les bénévoles/parents d’élèves et les enseignantes, le doute s’étant immiscé. Beaucoup de questions de type « qu’est ce que l’on doit/peut faire ? ». Beaucoup de « oui mais… » bloquant toute initiative ! L’évocation de rumeurs, de scenarii catastrophistes : « avec cette histoire, c’est foutu maintenant », « comment on fait pour licencier ? », « elle (enseignante) va être condamnée », etc. Je ramène autant que faire se peut au présent, aux faits, aux émotions ressenties, aux frustrations et aux besoins à l’œuvre. Par le questionnement et en faisant des reformulations régulières, je recueille et accompagne la parole de chacun.e. En fin de réunion, avec encore quelques oscillations entre impuissance et toute puissance, les personnes parviennent à formuler des propositions.
Je dessine avec eux des méthodes d’action envisageables pour la suite.
A l’issue de la rencontre, j’adresse à chacune des personnes présentes, une note synthétique reprenant les points abordées et les pistes envisagées et une série de propositions d’intervention en direction :
- des membres du bureau et équipe enseignante : accompagnement au traitement de la situation de crise et travail de fond sur la clarification des fonctions et responsabilités, le cadre relationnel dans l’association, la circulation de l’information, etc.
- des enseignant.e.s et des personnels non enseignants : médiation, mise en place d’une instance de régulation, formation commune.
Au vu de moyens budgétaires et des ressources bénévoles internes, le bureau choisit de me solliciter pour mettre en œuvre la première proposition. Nous formalisons une convention.
Acte 2 (fin janvier) : réunion de l’ensemble des membres du bureau et de l’équipe enseignante.
Après avoir posé le cadre, j’invite chacun.e à mettre des mots sur son vécu du moment. Ce moment permet de partager de nouvelles informations sur l’évolution de la situation : une lettre de parents adressée à l’Inspection d’académie, une enseignante en arrêt maladie prend conseil auprès d’un cabinet spécialisé pour la défendre. La tension est montée d’un cran encore, la communication est devenue très délicate au quotidien entre parents et enseignant.e.s. Pour autant je perçois la volonté des co-président.e.s de sortir du marasme ambiant et de l’ambiance délétère qui règne au sein de l’école. Leur objectif est de faire avancer la situation, retrouver de l’apaisement et rassurer parents et enseignant.e.s.
J’organise un temps de travail sur :
- la notion de « maltraitance » : définitions, conséquences, aspect juridique, etc.
- le phénomène de la rumeur : sa propagation, ses bases, les possibilités d’y mettre fin, etc.
Cela permet d’avoir un référentiel commun et de mesurer les enjeux de la situation. Se dessinent alors des pistes concrètes d’action à mener dans l’intérêt de chacun.e et du projet associatif, en se positionnant à une juste place, laissant à l’Inspection académique et au juge (potentiellement) leurs prérogatives.
Nous envisageons les suites à donner pour sortir de l’impuissance avec cette intention précise.
A
l’issue de la réunion, je produis une note que j’adresse à chacune
des personnes présentes, reprenant l’ensemble des éléments.
Acte 3 (début mars) :diffusion d’une lettre des membres du bureau à l’ensemble des personnes concernées, parents d’élèves, enseignant.e.s et personnels non enseignant.
Afin d’informer et de dissiper le malaise envahissant face au silence des un.e.s, à l’exaspération des autres, aux rumeurs, j’accompagne (à distance) les membres du bureau dans la rédaction d’un texte précis qui sera diffusé à l’ensemble des parents et personnels non enseignants. Celui ci reprend :
- les éléments de situation avec leur chronologie ;
- les actions déjà menées par le bureau grâce à des ressources en interne ou proches : entretiens individuels des personnels non enseignant, clarification des fiches de poste, de l’organigramme, mise en place de réunions tripartites nécessitant un engagement de parents afin de remplacer les personnels non enseignant pendant le temps du repas ;
- les actions qui vont être mises en place dans les mois qui suivent : formation, tenue d’une réunion collective spécifique, réalisation de fiches de fonction du bureau afin d’outiller les parents volontaires qui s’y engagent et deviennent de ce fait employeurs, gestionnaires, responsables au regard de l’extérieur, etc.
Sont ajoutés en fin de texte les définitions succinctes des concepts de maltraitance et de rumeur ainsi que le rappel de la responsabilité de l’évaluation des enseignants à la seule Inspection académique.
Acte 4 (juin) :
animation d’une réunion avec l’ensemble des membres de
l’association.
C’est avec les membres du bureau que je prépare
cette réunion afin de définir l’objectif poursuivi, la méthode
mise en œuvre ainsi que les conditions (détermination du jour, de
l’horaire, du lieu, de la disposition de la salle) et les rôles de
chacun.e. Je fais valider la préparation de la réunion par le
bureau.
Le bureau invite les parents, enseignants, personnels non enseignant.
Je me prépare à l’animation d’une réunion dans laquelle le potentiel d’émotions et de tensions peut être important. Je me recale bien sur l’intention de la soirée et sur l’importance d’être garante des moyens mis en oeuvre pour atteindre l’objectif défini par le bureau.
La réunion démarre en présence des membres du bureau, de 4 enseignant.e.s et de 13 parents (forte participation par rapport aux réunions habituelles). J’indique les règles de communication pour la soirée, le déroulé et l’horaire de fin et en me posant comme garante sur ces aspects là. Les membres du bureau se succèdent pour présenter :
- l’objectif de la soirée : « au travers d’un partage de parole, amorcer la restauration de lien de confiance au sein de l’association »,
- la présentation de l’historique de la situation et des réalisations faites et celles à mettre en œuvre.
Je donne ensuite la parole à chacun.e des membres du bureau et à chaque enseignant.e pour répondre à la question suivante : «quel est pour vous l’apprentissage le plus important cette année en tant que responsable associatif ? ». Ce temps donne lieu de façon posée à un partage de paroles fortes en émotions et prises de conscience des responsabilités, capacités personnelles et collectives, de la solidarité éprouvée et de détermination.
J’invite ensuite chacun des parents à exprimer, dans un tour de table, ses ressentis à l’évocation de la situation et des propos entendus. Apparaissent là aussi beaucoup d’émotions et sentiments, des frustrations, des doutes et aussi de la compassion vis à vis de l’enseignante en arrêt maladie et de la gratitude pour le travail accompli par les équipes de professionnels, enseignants comme non enseignants, et par les membres du bureau qui ont pris l’affaire à bras le corps.
Tout au long de ces deux temps de parole, je suis vigilante à ce qui pourrait être de l’ordre du jugement afin de protéger chacun.e. Je suis impressionnée par la qualité d’écoute et d’attention de chacun.e ainsi que par des paroles respectueuses même pour évoquer des points de désaccord ou de frustration.
Un dernier tour de parole va donner l’occasion à chacun.e de répondre à la question : « de quoi ai-je besoin pour me sentir en confiance/sécurité à l’école ? ». J’invite chacun.e à écrire son critère de confiance/sécurité sur un post-it avant de le lire. Je donne des consignes de formulation positive et précise. Je m’engage à compiler ces éléments de confiance/sécurité afin qu’ils puissent guider l’action associative à la rentrée prochaine.
Pour terminer la soirée, j’invite chacun.e à partager leur ressenti du moment, à l’issue de ce temps de réunion. Ce qu’il ressort est de l’ordre du soulagement, de la satisfaction d’avoir pu dire et d’avoir été entendu.e.
Je remercie chacun.e de la tenue de cette soirée et de la dynamique qu’elle recrée au sein de l’association.
A l’issue de cette rencontre, je rédige une note reprenant les éléments partagés lors de la soirée, les critères de confiance et une série de préconisations afin de :
- clarifier le projet associatif centré sur les enfants
- définir, diffuser et garantir un cadre d’action/coopération clair au sein de l’association
- qualifier les relations entre adultes
- délimiter le travail des non enseignants et leurs rapports avec les autres adultes
- veiller au renforcement du bureau
- créer des occasions de coopération entre adultes
Pour réaliser cet accompagnement :
- j’ai sollicité, dès le départ, la supervision d’un collègue afin de conserver le recul nécessaire à la posture,
- je me suis appuyée sur les capacités, méthodes et outils découverts et pratiqués lors de la formation de formatrice-consultante en Approche et transformation constructives des conflits (A.T.C.C.®).
Epilogue : en septembre 2018, l’école s’installe dans de nouveaux locaux, voulus, dessinés, conçus par les membres de l’association. Je sais depuis que le projet associatif et les pratiques ont profondément évolué en fonction de l’appropriation par ses membres des données de l’expérience, même douloureuse accompagnée en 2017. De crise, elle est devenue opportunité de changements au niveau personnel et structurel redonnant à chacun et au collectif sa puissance à agir.
Elizabeth Clerc, formatrice-consultante en A.T.C.C.®
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