« Fais moi confiance ! », « Ah, je vois bien que tu ne me fais pas confiance ! », « Il faut faire confiance ! ». Ces expressions de la vie quotidienne expriment une représentation erronée, voire idéalisée de la confiance. Comme si elle relevait de quelque chose qui peut être exigée ou qui tombe du ciel ! La confiance ou son absence, la méfiance, voire la défiance, traduisent fondamentalement une dimension émotionnelle, un sentiment de sécurité, d’insécurité ou de rivalité.1
Différencier des niveaux de confiance
La confiance en soi
Elle s’enracine dans l’amour reçu des parents, des proches, dans la satisfaction des besoins fondamentaux de la personne2. Pour le fœtus d’abord, le nourrisson puis l’enfant,la confiance est « a priori » sauf insécurité récurrente vécue. Elle résulte d’abord d’une bientraitance corporelle (caresses, soins), d’un respect des émotions3 et de la protection de ses biens. Combien d’entre-nous ont été moqués pour avoir pleuré à la suite de chutes bénignes, de frustrations ou de jalousie ? Combien d’entre-nous ont été humiliés par des adultes à la suite d’erreurs (de lecture, d’orthographe), d’exploration de notre corps même avant la puberté. Combien d’entre-nous ont perçu des menaces implicites, des jugements, des dévalorisations ou des comparaisons ? Toutes ces expériences accumulées peuvent être à l’origine de timidité, de manque de confiance en soi, ou de tendances inverses comme faire la morale, dominer, humilier les autres. Reconnaître ses propres erreurs en tant que parent, éducateur, permettra aux enfants de se sentir entendus dans leur souffrance et de comprendre que, s’il y a des règles, elle obligent tout le monde, elles sont nécessaires à la sécurité de chacun/e et légitiment des réparations même symboliques.
La confiance entre adultes
La confiance peut-être conçue comme un engagement tacite ou explicite, qui définit les conditions de la coopération dans un couple, en groupe, en société. Sans respect des personnes, les rapports de force prennent le pas sur la confiance. Plus les peurs individuelles sont explicitées (« quand tu arrives en retard, j’ai peur qu’il te soit arrivé quelque chose ou… je ressens de l’abandon, j’aurai besoin de… et je te demande… »), plus la confiance est renforcée. Ce sont précisément les différences individuelles et culturelles, qui sont souvent perçues comme les plus grandes menaces pour notre sécurité.
Lorsque entre adultes la confiance est « aveugle » ou « a priori », elle peut relever de la naïveté sinon de la dépendance affective. Et elle risque de se transformer en « haine » suite à un manquement, même involontaire, de l’autre : il sera alors question de « trahison », de « perte de confiance ». La confiance nécessite donc une vigilance réciproque quant à l’expression, à l’écoute et au respect des peurs individuelles. C’est en donnant à l’autre des repères quant à mes propres peurs, failles, blessures, que je pourrai l’inciter au respect et à la vigilance.4 Ce sont souvent les conflits qui révèlent ces failles, les limites de soi et de l’autre à respecter.
Un algérien disait : « la confiance c’est comme un arbre, qui a besoin de temps et d’entretien pour croître et s’enraciner et qui peut être coupé en quelques secondes ! »
La confiance dans un groupe
Si la confiance se construit à travers des relations respectueuses entre les personnes, elle nécessite – dans une famille, dans un groupe, une institution – un cadre garanti : des règles appliquées et des structures transparentes. Chaque individu du groupe doit pouvoir être au clair sur ses activités et ses responsabilités à l’intérieur d’un territoire personnel et d’un territoire collectif. Cela suppose :
une identification claire des garants de la sécurité et de leurs obligations ou compétences à poser des sanctions en cas de transgression ;
le droit à l’erreur reconnu et défendu comme processus d’apprentissage, la confidentialité respectée ;
l’écoute empathique des émotions individuelles, des gestes et paroles de solidarité ou de compassion pour les personnes blessées ;
des méthodes de travail qui garantissent l’expression de chacun/e sans jugement de valeur et/ou de personne ;
des temps animés, consacrés à entretenir et à approfondir la confiance, à donner la priorité à la relation sur les « solutions » ;
des méthodes d’expression sensible (« météo » intérieure en début de réunion, bilan en fin de réunion ou de période d’activité) pour exprimer les satisfactions et /ou insatisfactions vécues au cours de ces temps collectifs ;
des domaines de responsabilité et de pouvoir explicitement délimités ;
des modalités de confrontation entre niveaux hiérarchiques différents, centrées sur les comportements et les objectifs à atteindre pour améliorer les résultats de l’ensemble ;
des processus de décision et de délégation qui s’inspirent du consensus pour prendre en compte tous les avis ; 5
des pratiques de coopération et de négociation d’intérêts divergents, qui garantissent le respect des personnes ;
la mise en mots des « résistances » individuelles ou collectives, des processus cachés d’exclusion, des phénomènes de clan, d’abus de pouvoir, en restant centrés sur des « perceptions » pour éviter des jugements et accusations ;
des rapports hiérarchiques assumés, qui précisent les limites de l’obéissance requise au lieu de se cacher derrière des rapports de confiance indéfinis qui deviennent obligés ;
une autorité fondée sur des savoirs-être respectueux et des savoirs-faire collaboratifs.
De nombreuses pratiques de management productivistes occultent l’importance de la sécurité émotionnelle des personnes et provoquent des dégâts dramatiques. L’analyse et la prise en compte des Risques Psycho Sociaux (RPS) devrait permettre d’améliorer certaines conditions de travail et de cohésion d’équipe.6
La confiance au niveau spirituel
La confiance en la Vie, en un sens choisi, quel que soit son nom7, est un véritable chemin de développement personnel, de dépassement de ses peurs, car elle suppose un travail de lâcher-prise, d’ouverture à ce qui peut être inattendu, de transformation du besoin de sécurité matérielle en sécurité intérieure. Toutes les démarches spirituelles font appel à un certaine « foi », en une espérance qui permet de transcender le réel, au courage pour aller au-delà des peurs et de la peur de la mort.
Eduquer à la confiance ?
Par la mise en œuvre de pratiques relationnelles et fonctionnelles respectueuses, il est possible d’éduquer à la confiance. Cela peut notamment passer par un travail corporel qui permet l’accès à des peurs refoulées, par delà nos résistances intellectuelles. C’est ce que permettent dans les animations/formations pour tous les âges, de nombreux jeux, pratiques et exercices de mise en confiance qui :
provoquent le rire ;
stimulent la coopération, la créativité ;
entraînent à se déplacer les yeux fermés pour couper des repères visuels, faire appel à d’autres canaux sensoriels (ouïe, toucher) et à la négociation explicite (voyant – non-voyants, le mur, les éléphants, le nœud etc 8) ;
invitent à se laisser regarder au « fond des yeux » et à exposer sa vulnérabilité ;
provoquent un enjeu de risque ou de vertige (toboggan, balançoire, escalade, saut en arrière dans les bras des membres du groupe, bouteille ivre) ;
font préciser à chacun/e « pour me sentir en confiance dans ce groupe, j’ai besoin, de… (me sentir entendu/e, respecté/e, d’avoir le droit à l’erreur… ») ;
invitent à raconter sa « biographie » dans un cadre horaire précis avec des garanties de respect et confidentialité.
La confiance est l’antidote de la peur !
Les quatre niveaux de confiance sont en relation constante : plus on a confiance en soi, plus il est facile d’avoir confiance en l’autre, en un groupe, en la Vie et réciproquement.
La confiance est l’antidote de la peur qui s’exprime par des manifestations corporelles 9. Tout travail sur la confiance passe par un travail de mise en sécurité corporelle, donc émotionnelle. Refoulées, rationalisées, les peurs se transforment en méfiance puis en défiance.
La confiance est donc le résultat d’un processus plus ou moins explicite, d’un contrat, qui évolue avec la durée de la relation. Elle nécessite de consacrer du temps et des moyens à la construire et à l’approfondir. La confiance permet d’accepter, par-delà les différences, les failles des autres, qui peuvent réveiller chez moi de l’insécurité. Quand elle est vécue, la confiance provoque de la gratitude et se manifeste par de la joie et de la compassion, moteurs essentiels de la solidarité.
Il arrive que des stagiaires parlent de la confiance vécue dans leur groupe de formation comme quelque chose de « magique ». Ils sont en fait surpris des effets dynamisants du groupe lorsqu’il permet à chaque personne de prendre des risques, d’exprimer ses propres dérangements et d’être accueilli/e de façon bienveillante avec ses difficultés. C’est le résultat d’une pédagogie fondée sur la confiance dans les ressources de chaque personne et du groupe, dès lors qu’un cadre sécurisant et explicite est garanti.
Hervé Ott
1. Confiance, vient du latin con-fides, avoir « foi ensemble », « foi avec »… Fides a donné « foi », « fidélité », « fiançailles » toutes choses qui ne peuvent s’exiger.
2. Des besoins physiologiques (alimentation et breuvage, repos, mouvement et territoire) et des besoins psychologiques (amour, reconnaissance, sécurité – orientation, autonomie, créativité).
3. Surprise, peur, colère, tristesse, joie, honte, dégoût, compassion.
4. C’est un des principes fondamentaux de la « communication non-violente ».
5. On trouvera ces méthodes développées dans la « sociocratie » www.sociocratie-france.fr/
6. Voir E. Bufquin, H. Ott Stress et RPS : qui former en priorité ? http://ieccc.org/breve.php3?id_breve=56
7. Viktor E. Frankl : Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, Editions de l’Homme, 1988
8. Voir un prochain « Manuel des rencontres interculturelles » de K.-H. Bittl et H. Ott à paraître.
9. L’état émotionnel, même contrôlé, se manifeste par des tensions musculaires, des gestes, le ton, le débit et les modulations de la voix, la direction du regard etc.
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