On entend souvent parler des « valeurs de gauche / de droite » sans jamais savoir desquelles il s’agit. Peut-être est-ce, de la part de ceux et celles qui s’expriment ainsi, par crainte de prendre conscience que les valeurs ne sont ni de droite ni de gauche : la liberté serait-elle plus de droite et l’égalité plus de gauche ? Et la fraternité, pour ne s’en tenir qu’à ces trois-là ? Quid de la dignité ou de la vérité ? Certes, telle ou telle a pu être récupérée, survalorisée par telle ou telle idéologie, et du coup perçues comme dangereuse.
On entend aussi beaucoup dire « nous on se bat pour des valeurs » sans jamais savoir desquelles il s’agit : d’une part pour les mêmes raisons que ci-dessus, d’autre part sans doute par incapacité de citer des valeurs qui en soient réellement.
Il est enfin courant qu’une grosse entreprise décline ses valeurs dans une charte, comme : compétence, exigence, réactivité, excellence. Rien quant à l’équité, la solidarité, la dignité, la fraternité etc !
Ce sont souvent des idéologies qui organisent un système hiérarchique de valeurs, avec tout en haut, une seule valeur comme la liberté, pour l’Occident.
Autant nous pouvons, en France, critiquer le rapport à la valeur liberté des américains US, qui garantit leur droit à porter des armes1 avec les conséquences dramatiques que l’on sait, autant nous sommes dérangés quand les mêmes américains US critiquent notre rapport à la liberté d’expression qui est revendiquée par les auteurs de caricatures anti-religieuses, avec les conséquences dramatiques que l’on sait. Et pourtant il s’agit dans les eux cas de la valeur liberté, telle qu’elle est comprise par les deux systèmes culturels américain US et français.
La difficile définition de ce que sont les « valeurs »
Le mot valeur a plusieurs significations ou déclinaisons : on parle de la valeur marchande d’un objet (« ça a de la valeur », « ça ne vaut rien ! », « combien ça vaut ? »), on parle aussi d’évaluation d’un projet, d’une démarche, d’un travail, ce qui consiste à lui donner ou lui enlever de la valeur. Et il a aussi les valeurs qui orientent nos choix. Le mot valeur vient du latin valere (valoir) « être bien portant », être fort (Petit dictionnaire étymologique Larousse). « Dans son sens originel, dès le XIIe siècle, la valeur désigne le courage, la vaillance guerrière, la bravoure au combat, la hardiesse, la combativité. » (Wiktionary). D’où l’idée que la valeur, c’est ce qui porte la Vie ! Je dois à Patrick Viveret2 cette définition finale, qui nous allons le voir, fait le lien avec un élément constitutif de notre humanité.
1) Les valeurs donnent une direction : comme les étoiles et le soleil permettaient aux marins de se diriger, les valeurs nous permettent de nous orienter, de faire des choix, de prendre des décisions. Elles sont distinctes des « principes » qui, dans l’action constituent des modèles, des lois, des normes s’appuyant sur des jugements de valeurs.
2) Parce qu’elles sont irréalisables à 100 %, les valeurs nous mettent en défaut de les atteindre et peuvent provoquer un sentiment de culpabilité, voire d’impuissance, du moins de finitude.
3) Les valeurs sont multiples : comme l’arc-en-ciel montre toutes les couleurs qui composent la lumière blanche, ainsi toutes les valeurs sont nécessaires et indispensables pour éclairer nos choix ! Lorsqu’une valeur sert de référentiel absolu, lorsqu’elles sont organisées en sytème hiérarchique, les valeurs masquent une idéologie.
4) Les valeurs inspirent les lois qui protègent les individus dans les groupes et collectivités : les lois sont la transcrition en droit de ces valeurs. Autant il y a de nombreuses lois qui garantissent la liberté, la dignité des individus, autant il est impossible de transcrire en droit l’amitié, la bonté par exemple.
5) Pour fonder et garantir juridiquement des droits fondamentaux pour chaque citoyen, les valeurs sont inscrites dans la constitution des Etats et autres « déclaration des droits humains. En fait ces valeurs sont déjà inscrites dans les textes fondateurs des grandes spiritualités4.
6) Les valeurs sont universelles. Lorsqu’elles sont contestées, c’est par des régimes politiques ou des représentants d’idéologies qui légitiment la violence comme moyen politique et contestent la démocratie comme forme d’organisation politique. C’est en outre par le recours à ces valeurs que les défenseurs des droits des humains fondent leur résistance à ces idéologies ou régimes politiques répressifs. Une façon de déligitimer cette contestation des valeurs est de regarder ce qui se passerait si elles étaient oubliées ou niées : ce serait à nouveau le règne de la loi du plus fort !
7) En français, une valeur se termine en -té (liberté, fraternité, équité…). Mais tout les mots se terminant en -té ne désignent pas pour autant des valeurs (méchanceté, absurdité, etc). Ce qui exclurait des mots comme « justice » qui est faite en réalité d’ « équité », comme « autonomie » qui renvoie à la « liberté », comme « paix » qui renvoie à « liberté », à « souveraineté » et à « sureté » etc. En allemand on trouvera souvent des mots terminant par …heit (Freiheit (liberté), Gesundheit (santé), Schönheit (beauté), Sicherheit (sécurité) et aussi des mots comme Würde (dignité), Ehre (honneur), Treue (fidélité) etc.
8) Il est nécessaire de distinguer les valeurs
des vertus comme le courage, la patience, la tempérance, la tolérance, l’humilité, la bonté, l’honnêteté, la sincérité, la générosité etc. ces dernières pouvant être définies comme des attributs individuel à l’opposé des valeurs qui seraient des atttibuts collectifs ;
des compétences comme l’impartialité, la créativité etc ;
des qualités, qui relèvent en fait du jugement et sont opposées aux « défauts » ;
des conventions (qui s’inspirent de valeurs) la politesse, la ponctualité, la courtoisie etc ;
des structures comme la famille et la patrie, qui permettent la réalisation de certaines valeurs ;
des activités comme le travail : le pire est de célébrer la valeur « travail » quand autant de monde est au chômage ;
Il est devenu commun pour une entreprise, un organisme d’action social, une ONG, de décliner une « charte des valeurs ». On y trouve souvent un mélange de valeurs, de compétences, voire de vertus ou de qualités.
Quant à l’ « éthique », ce n’est pas une valeur, mais au mieux une réflexion sur « comment agir avec telle et telle valeur ».
Le respect peut-il être considéré comme une valeur ? Il renvoie au besoin de sécurité. De part son étymologie, le respect (regarder avec du recul, en arrière) est un attitude.
On entend ici ou là que la « laïcité » serait la quatrième valeur de notre république ! Or la laïcité est une définition juridique des rapports entre l’Etat et les différentes confessions religieuses : elle garantit la liberté de conscience et l’exercice du culte, c’est d’abord une régulation entre l’Etat et les églises, avant de devenir un processus général qui inclue aussi l’économie et l’information.5
9 ) On peut alors retenir comme valeurs : fraternité/solidarité, liberté/souveraineté, équité/égalité, sûreté, santé, beauté, loyauté/fidélité, vérité, dignité.
10) Les valeurs irriguent la culture, les rites, les structures, les lois et les individus : pour s’en convaincre il suffit de se remémorer des choix personnels faits, ou de lire les préambules aux projets de loi et d’écouter les députés et sénateurs s’affronter aussi sur des valeurs.
11) Les valeurs sont la transcription collective des besoins fondamentaux de la personne. Par delà les besoins physiologiques de la personne (entretien / alimentation, mouvement, repos, reproduction) il existe aussi des « besoins psychologiques » d’amour, de reconnaissance, de sécurité-repères, d’autonomie et de dépassement de soi/spiritualité.
Satisfaits, ces besoins permettent aux individus d’être « motivés », de stimuler leur « désir », leur combativité, leur élan vital. On voit donc bien le lien qu’il y a entre les valeurs, comme ce qui porte la Vie, et les besoins comme canal de l’élan vital qui anime tout être humain.
Selon l’âge ou les circonstances, tel ou tel besoin doit être satisfait en priorité.6
Frustrés, ces besoins provoquent des réactions émotionnelles (peur, colère, tristesse, dégoût, honte) provoquées par un vécu d’abandon, de rejet, d’agression-envahissement/ perte de repère, de perte de contrôle et aliénation.7 Chercher à découvrir les « critères de satisfaction » de ces besoins, pour soi, pour les autres, permet d’y répondre plus vite (voir le tableau ci-dessous)
Les besoins sont différents des « envies », lesquelles relèvent de la dimension du désir qui est orienté par l’imitation de modèles8. Un enfant peut avoir besoin de boire et il peut confondre ce besoin avec une envie de boisson gazeuse. Tout être humain a besoin d’amour qu’il peut confondre avec une envie de tel ou tel cadeau précis vu en vitrine.
Le tableau ci-joint est une proposition de lien entre besoins et valeurs. Il peut être contestable dans tel ou tel lien et amélioré.
Parce que les besoins de la personne sont universels, les valeurs sont universelles, ce sont leurs mises en œuvre qui diffèrent.
Partant d’une conception des « besoins » de la personne, nous constatons que ces besoins sont universels et qu’ils se retrouvent transcrits dans les valeurs. C’est au niveau de leur mise en œuvre par des systèmes culturels/ idéologiques, économiques et sociaux que les différences s’incarnent et donnent lieu à des « conflits de valeurs ».9
Les conflits de valeurs peuvent être de l’ordre d’un « conflit d’objet » (« je suis en désaccord avec toi, avec ton système de valeurs, et je te respecte et nous pouvons chercher un compromis satisfaisant pour les deux ») ou devenir un « conflit d’identité »10 en jugeant la mise en œuvre des valeurs de l’autre et en le dénigrant. La transformation du conflit se fera non sur les valeurs elles-mêmes mais sur leur façon de les mettre en œuvre.
A travers toutes les valeurs, l’être humain accède à une dimension transcendantale commune à toutes les spiritualités.
Les idéaux sont construits à partir des peurs qui naissent de la frustration des besoins fondamentaux : ce sont en fait des croyances !
Il peut nous arriver de définir une valeur comme très importante voire prioritaire sans se rendre compte qu’en définitive c’est la peur de son contraire qui nous anime : peur d’abandon, donc surévaluation/idéologie de la valeur fidélité, peur du contrôle, donc surévaluation/idéale de la liberté. On parlera alors de croyances !
Les idéologies peuvent être conçues comme des constructions héritées de « mécanismes de défense » : ce sont des systèmes de « pensée réflexe » qui interprètent sans nuance les perceptions considérées en outre comme des vérités ! Les idéologies sont réductrices de la complexité du monde et des relations humaines. Comme les « mécanismes de défense »11, elles produisent ce qu’elle veulent éviter : toutes les idéologies construites en « anti… » (racisme, capitalisme, militarisme, sexisme etc) sont construites sur des peurs et renforcent les réactions qu’elles dénoncent !
Pour travailler sur les valeurs
Exercice 1 : étaler sur une table des cartes sur lesquelles sont inscrites une seule valeur par carte. Demander au groupe de résoudre un problème : chaque participant propose une réponse à partir d’une carte/valeur. Puis on regarde quelles sont les valeurs qui ont été oubliées : reprendre le travail à partir de ces valeurs.
Exercice 2 : étaler sur une table des cartes sur lesquelles sont inscrites une seule valeur par carte. Demander au groupe de débattre d’un sujet « chaud » comme le suicide assisté, la GPA, la légalisation du Canabis etc. Chaquqe personne, pour intervenir, doit prendre une carte/valeur et argumenter à partir de celle-ci. A la fin du débat, on regarde quelle valeur a été oubliée. On peut constater que des arguments opposés peuvent être justifiés par les mêmes valeurs.
Exercice 3 : pour une entrerpise, une ONG, décliner toutes les valeurs en actes concrets au service des objectifs ou publics concernés et des membres d’une équipe professionnelle ou bénévole.
Un modèle systémique d’analyse des conflits
On peut relever six dimensions qui jouent un rôle central dans la vie sociale entre humains. Les conflits sont liés à toutes ces dimensions à la fois. A travers les conflits, il est possible de découvrir ce qui est à changer pour vivre « une vie orientée par des valeurs ». Si nous comprenons ce qui « coince » ou est mis en danger à travers le conflit, nous pouvons alors le transformer de façon constructive. Selon la dimension en jeu, il faudra l’aborder avec différentes démarches et méthodes. L’interrelation entre les différentes dimensions permettra de décider à partir de laquelle nous choisissons de travailler. Pour plus de détails voir la définition de l’Approche et transformation constructives des conflits (A.T.C.C.® ) : http://ieccc.org/spip.php?article111
herve.ott@ieccc.org
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